L1: la Ligue et Mediapro en conflits sur les droits TV

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Le groupe sino-espagnol Mediapro, principal diffuseur du foot français, fait trembler l’écosystème de la Ligue 1 en demandant à renégocier les juteux droits TV, ressource majeure des clubs aux comptes fragilisés par la pandémie. La Ligue, elle, exige d’être payée. La Ligue de football professionnel (LFP) est montée au créneau jeudi, en annonçant qu’elle «refusait d’accorder un délai de paiement à Mediapro» pour le versement dû au 5 octobre, indiquant souhaiter reverser cette manne (172 M EUR selon L’Equipe) aux clubs le 17 octobre, comme prévu. Cette prise de position fait suite aux propos de Jaume Roures, le patron de Mediapro, ayant indiqué dans le quotidien sportif vouloir «rediscuter le contrat de cette saison», qu’il juge «très affectée par le Covid-19». L’annonce tombe à un moment critique, la pandémie ayant déjà mis à mal les finances des clubs. «Il est évident que l’enjeu des droits TV pour les clubs de football est important. C’est une part significative de leurs revenus et ce serait un cataclysme, après avoir perdu un quart des revenus suite à l’arrêt du championnat 2019-2020, la perte des recettes liée aux dix matches qui n’ont pas eu lieu, les quasi huis-clos actuels», a craint le président des Girondins de Bordeaux, Frédéric Longuépée. Fin juillet, une étude du cabinet EY commandée par le syndicat de clubs Première Ligue tablait déjà sur 605 millions d’euros de pertes en c.a. dues à l’arrêt du championnat. C’était sans compter l’assèchement des recettes de billetterie provoqué par la jauge maximale de 5.000 spectateurs -1.000 dans les zones les plus touchées- actuellement en place. Nouveau venu dans le paysage français, Mediapro avait décroché en 2018 le gros des droits de la L1 et de la L2 pour la période 2020-2024, pour plus de 800 millions d’euros par an, damant le pion au partenaire historique Canal+, au Qatari beIN et au groupe Altice (RMC Sport). Mais à peine plus d’un mois après son lancement, Mediapro laisse à sa merci les clubs, qui tirent plus d’un tiers de leurs recettes des droits TV (36% pour la Ligue 1 en 2018-2019 selon la DNCG, gendarme financier du foot français). «Quand des engagements contractuels sont pris, il s’agit de les respecter», a taclé la ministre des Sports Roxana Maracineanu. «Parce qu’il en va aujourd’hui de la survie non seulement du football professionnel, mais du football tout court», a-t-elle assuré. De mauvais augure, d’autant que la Ligue s’est déjà endettée au printemps avec un prêt garanti par l’Etat de 224,5 M EUR, compensant le manque à gagner en droits TV de l’arrêt prématuré du Championnat. Et l’un des arguments les plus souvent avancés par les dirigeants du football français au printemps pour justifier l’arrêt de la saison, à savoir, l’importance de «sécuriser» le nouveau cycle de droits télévisés et donc le lancement serein de la saison 2020-2021, semble désormais tomber à l’eau… Si Mediapro est «en position de force» dans la négociation, selon l’économiste du football Luc Arrondel, les perspectives ne sont guère alléchantes pour le groupe sino-espagnol. «Mediapro est à la base une agence. Leur modèle initial, c’était d’acheter les droits très cher et de les revendre avec une plus-value, en spéculant sur une hausse en France du marché et de la concurrence. Ils ont parié, ils ont perdu», note Pierre Maes, consultant. Résultat, les doutes resurgissent vis-à-vis de Mediapro et sa chaîne payante Téléfoot, dont le grand lancement fut «tiède» en terme d’abonnements selon Jaume Roures à «l’Equipe». Et l’économie du football, largement basée depuis les années 2000 sur une augmentation continue des droits TV, se retrouve à vaciller avec la sombre perspective d’un «éclatement de la bulle». «Aujourd’hui, les clubs ont acheté leurs joueurs avec l’argent de Mediapro et leur ont offert des contrats longs et extrêmement chers. Passer de ce modèle-là à un modèle plus frugal, c’est impossible», s’inquiète Pierre Maes. «Pour le moment, on en n’est qu’à un signal inquiétant, mais en cas de déconfiture, je pense que les clubs vont faire face à un Covid puissance 10…».