Médias : levée de boucliers en France face à une «dérive à l’américaine»

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Après des télés, une radio, un magazine… la reprise en main d’un journal de référence par le milliardaire Vincent Bolloré, accusé d’imposer ses idées très conservatrices dans les rédactions, provoque une levée de boucliers en France face à une «dérive à l’américaine» de type Fox News. Le «Journal du dimanche» (JDD), monument dominical hexagonal dans lequel les puissants de tous bords se plient régulièrement au jeu de l’interview, vient de se voir signifier l’arrivée à sa tête de Geoffroy Lejeune, tout juste débarqué de «Valeurs actuelles», un hebdomadaire d’extrême-droite. Il a fallu deux semaines à peine au nouveau propriétaire Bolloré, dont la commission européenne a validé le 9 juin la prise de contrôle du «JDD», du très people magazine «Paris Match», ainsi que de la radio Europe 1 pour provoquer une grève à la quasi-unanimité au «JDD». «La rédaction du «JDD» refuse d’être dirigée par un homme dont les idées sont en contradiction totale avec les valeurs du journal», a fait savoir l’association des journalistes de ce titre. Un mouvement soutenu par le monde syndical et la gauche. La majorité du président Emmanuel Macron, via la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, a également dit «comprendre les inquiétudes» des salariés du «JDD». «Pour nos valeurs républicaines comment ne pas s’alarmer?», s’est-elle interrogée sur les réseaux sociaux. Car le milliardaire proche des milieux catholiques traditionalistes, qui s’est toujours défendu d’utiliser les médias qu’il contrôle pour promouvoir ses opinions, laisse un souvenir amer dans toutes les rédactions où il s’est imposé. Quand le groupe Vivendi, propriété de Bolloré, rachète en 2015 Canal+, sa chaîne d’information iTélé connaît l’année suivante 31 jours de grève très médiatique face à des dirigeants inflexibles. La quasi-totalité des journalistes finit par quitter la chaîne. iTélé devient alors CNews et prend un virage très à droite. Durant la dernière campagne présidentielle, le candidat d’extrême-droite Eric Zemmour, ancien employé de la chaîne, y est l’objet d’attentions quotidiennes. Tout comme il est plébiscité par «Valeurs actuelles», qui avec le nouveau patron du «JDD» Geoffroy Lejeune à sa tête, tient une ligne éditoriale proche de l’extrême-droite. «CNews, ça rime avec Fox News», estime Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). «A la fin, on ne sait plus si les médias sont des rédactions ou des partis politiques». «On est dans une dérive à l’américaine, (…), où il y a un risque de polarisation, qui fait que les médias finissent dans des guerres idéologiques plus que dans la recherche de la réalité, juge-t-il. Et ça, ce n’est pas un modèle démocratique». La France, via Vincent Bolloré, comble un «décalage» en s’alignant sur des médias étrangers controversés, notamment le tabloïd britannique «The Sun» ou la chaîne Fox News, tous deux propriété du richissime Australien Rupert Mordoch, observe Arnaud Mercier, professeur en communication à l’Institut français de la presse. Dans un paysage médiatique marqué par la prise croissante de participations ou de contrôle des principaux médias français par des milliardaires du cru, généralement marqués à droite, Vincent Bolloré se distingue en allant bien plus loin qu’eux via «la stratégie du bernard l’hermite», observe-t-il. Et d’énumérer : «Il prend un média existant, il l’évide d’une partie de son ton décalé, libéral, pour mettre à sa place des lignes éditoriales réactionnaires, conservatrices», au nom d’une «guerre culturelle» à mener contre la «l’idéologie dominante» libérale. «Quelle meilleure preuve du conformisme médiatique que le tollé général provoqué par la nomination d’un directeur de rédaction accusé de n’être pas de gauche? #JDD», a ainsi réagi sur Twitter Eric Zemmour.