Youn Yuh-jung, 1ère actrice sud-coréenne à être nominée aux Oscars

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Depuis plus d’un demi-siècle, Youn Yuh-jung, la 1ère actrice sud-coréenne à être nominée aux Oscars, a incarné des personnages anti-conformistes qui, à son image, tentent de bousculer les valeurs traditionnelles profondément ancrées dans la société sud-coréenne. A 73 ans, elle a été nominée dans la catégorie meilleure actrice dans un 2nd rôle pour son interprétation dans «Minari». Dans ce drame familial sur des Coréens immigrés aux Etats-Unis, elle campe la grand-mère d’un adolescent qui tente de s’intégrer dans l’Etat très rural de l’Arkansas. Les critiques ont salué ce long-métrage, une production américaine essentiellement en coréen, qui a obtenu la semaine dernière six nominations aux Oscars: dont celle du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur. «Minari» semble bien parti pour connaître fin avril le même succès que «Parasite», la satire corrosive sur les inégalités sociales en Corée du Sud qui, l’an dernier, a remporté l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Inspiré de l’enfance du réalisateur américano-coréen Lee Isaac Chung, qui a grandi dans les années 80, «Minari» raconte comment un père d’origine coréenne quitte la Californie pour s’installer avec sa famille dans une ville reculée de l’Arkansas, dans l’espoir de connaître une vie meilleure. Ce n’est pas la 1ère fois que Mme Youn, qui a déjà remporté de nombreux prix dans des festivals américains, incarne une grand-mère. Pour le directeur de la programmation du Festival international du film de Busan, en Corée du Sud, cette nomination consacre «cette actrice extraordinaire qui, depuis longtemps, a tracé sa voie» et qui «au fil des décennies, a bien choisi ses projets». Tout au long de sa carrière, elle a souvent incarné des personnages provocants et anti-conformistes dans une société sud-coréenne restée très conservatrice. Née à 1947 à Kaesong, une ville désormais située en Corée du Nord, elle a débuté en 1971 sous la direction du réalisateur avant-gardiste Kim Ki-young dans «La Femme du feu». Elle jouait le rôle de la domestique d’un ménage de la classe moyenne tombée enceinte du père de la famille. Ce thriller est devenu un classique du cinéma sud-coréen. Mais sa carrière s’est brusquement arrêtée en 1975 après son mariage avec le chanteur Jo Young-nam et son départ pour les Etats-Unis. Moins de dix ans plus tard, en 1984, elle rentre dans son pays natal avant de divorcer 3 ans plus tard. Renouer avec sa carrière d’actrice afin de subvenir aux besoins de ses deux fils n’a pas été aisé, à une époque où le divorce était stigmatisé. «Etre divorcée était comme avoir commis un adultère», a raconté en 2009 Mme Youn à un magazine, et les femmes ne pouvaient pas apparaître à la télévision après leur divorce». Elle accepte donc toutes les propositions. «J’ai travaillé très dur. Je devais nourrir mes enfants», explique-t-elle. Dans les années 90, elle apparaît régulièrement dans des séries télévisées, dans la peau d’une mère de famille, puis, plus tard, d’une grand-mère. En 2003, Mme Youn fait son retour sur les grands écrans dans «Une femme coréenne» d’Im Sang-soo, sous les traits d’une belle-mère anti-conformiste au sein d’une famille déséquilibrée. Elle est ensuite une riche et cruelle héritière trompée par son époux en 2012 dans le drame «L’Ivresse de l’argent» avant d’être saluée en 2016 pour son rôle de prostituée dans «The Bacchus Lady» de E J-yong’s. Selon Jason Bechervaise, professeur à la Korea Soongsil Cyber University, Mme Youn est «l’une des rares grandes actrices de sa génération» à avoir travaillé de manière aussi constante dans le cinéma coréen au cours des deux dernières décennies. Elle a su naviguer dans cette industrie concurrentielle «largement axée sur les jeunes talents, souvent masculins, pour les rôles principaux».