À l’occasion du bicentenaire du Figaro, le plus ancien quotidien français encore en activité, Alexis BRÉZET, directeur des rédactions revient sur l’histoire d’un journal devenu un écosystème global: presse, numérique, télévision, podcasts, événements… Entre tradition et innovation, il explique comment le titre a su rester influent, rentable et fidèle à ses valeurs, malgré deux siècles de révolutions médiatiques.
MEDIA +
200 ans du Figaro, c’est un symbole rare dans l’histoire de la presse. Comment fait-on pour rester un média d’influence en traversant deux siècles de mutations technologiques et économiques ?
ALEXIS BRÉZET
En France, nous sommes effectivement le plus ancien grand quotidien d’information encore en activité. En Europe, seul le Times de Londres nous précède. Si le Figaro a traversé deux siècles, c’est parce qu’il n’a jamais cessé d’évoluer. Il a toujours cherché à être à la pointe de la modernité, tout en préservant son identité, ses valeurs et ses convictions. Aujourd’hui, cela se traduit par une présence forte sur Internet, les réseaux sociaux, la télévision et les podcasts. L’idée reste la même : faire de bons articles, raconter de bonnes histoires, mais avec les moyens de communication de chaque époque. Ce sont les supports qui changent, pas notre mission.
MEDIA +
Le Figaro revendique être le premier site d’actualité en France selon la CPM. Quelle stratégie digitale vous a permis d’y parvenir ?
ALEXIS BRÉZET
Notre stratégie repose sur deux piliers fondamentaux du journalisme: la réactivité et la qualité. Il faut être rapide sur l’information, mais c’est la rigueur et la vérification qui fidélisent le lecteur. La qualité, c’est ce qui fait revenir le public. Les plateformes numériques, elles, représentent un vrai défi – non pas tant sur le terrain de l’information, mais sur celui des recettes publicitaires. Elles utilisent parfois nos contenus tout en captant la publicité. C’est pour cela que nous menons la bataille des droits voisins, pour obtenir une rémunération juste du travail de nos journalistes. C’est la même problématique avec l’intelligence artificielle : les moteurs s’entraînent sur nos articles sans contrepartie. Qu’ils s’en inspirent, pourquoi pas, mais il est normal que nous soyons rémunérés pour l’utilisation de nos contenus. Pour autant, l’IA peut aussi être un outil. Elle nous aide déjà sur certaines tâches répétitives ou archivistiques. En revanche, sur l’actualité brûlante – ce que va dire un ministre demain, par exemple – elle ne peut pas rivaliser: l’information, c’est nous qui la produisons.
MEDIA +
Vous évoquez souvent la nécessité de vous transformer sans renier vos valeurs. Comment Le Figaro concilie-t-il son héritage éditorial et la modernité de ses formats (podcasts, vidéos, TV) ?
ALEXIS BRÉZET
C’est dans notre ADN. Si l’on regarde l’histoire du Figaro, on voit que l’innovation et l’audace commerciale ont toujours accompagné la rigueur journalistique. Hippolyte de Villemessant, notre fondateur, a tout inventé : la publicité, les petites annonces, les hors-séries, les cahiers spéciaux… C’était à la fois un grand journaliste et un entrepreneur visionnaire. Pour qu’un journal vive, il doit aussi savoir gagner de l’argent, et cela passe par la créativité, l’ouverture, la diversification. Cet esprit pionnier perdure aujourd’hui à travers nos développements dans la télévision, le digital ou les événements.
MEDIA +
Le groupe Dassault a beaucoup investi dans le numérique et le développement du Premium. En quoi ce soutien est-il déterminant ?
ALEXIS BRÉZET
Nous avons la chance d’avoir un actionnaire stable et fidèle, qui nous soutient et nous fait confiance. Le groupe Dassault nous a permis de lancer d’importants projets – comme la refonte numérique, les podcasts ou Figaro TV – avec des investissements. C’est un atout considérable : un groupe familial puissant, qui exige la rentabilité mais nous laisse une totale liberté éditoriale. Peu de médias peuvent en dire autant.
MEDIA +
Le modèle d’abonnement digital est-il aujourd’hui rentable pour vous ?
ALEXIS BRÉZET
Oui, tout à fait. Le modèle numérique est pleinement rentable, car il vient en complément du print. Nous avons désormais plus de 300 000 abonnés digitaux, un chiffre en progression constante. C’est la preuve que la marque Figaro, grâce à la qualité de ses contenus, a su trouver son public dans le digital.
MEDIA +
Quels leviers restent à activer pour continuer à croître ?
ALEXIS BRÉZET
Un seul mot : la qualité. Chaque matin, en conférence de rédaction, nous analysons les articles qui ont généré le plus d’abonnements. Cela nous permet de comprendre ce qui plaît, ce qui attire, et d’ajuster notre ligne. Les bons articles font les bons abonnés. C’est aussi simple – et aussi exigeant – que cela.
MEDIA +
Le Figaro est devenu une marque média globale. Quelle est votre vision à dix ans ?
ALEXIS BRÉZET
Le cœur du métier, c’est l’information, pas le support. Le papier existera, je l’espère. Le web, évidemment. L’application, les vidéos, les formats émergents… tout cela évoluera.
MEDIA +
Vous avez évoqué la bataille avec les grandes plateformes. Où en sont les négociations avec Meta, Google ou OpenAI concernant le partage de valeur ?
ALEXIS BRÉZET
C’est un rapport de force permanent. Nous avons obtenu une avancée avec la loi sur les droits voisins, mais elle doit encore être appliquée par tous. Certains acteurs la respectent, d’autres non. Nous continuons donc à nous battre. Certes, ces géants sont puissants, mais nous avons pour nous la force d’une marque bicentenaire et la richesse de nos contenus, ce qui reste notre plus grande légitimité.
MEDIA +
Le lancement de Figaro TV marque une nouvelle étape dans votre stratégie audiovisuelle…
ALEXIS BRÉZET
Figaro TV est un formidable levier pour élargir notre audience et rajeunir notre lectorat. La chaîne est diffusée sur la TNT, les box, l’App Canal+, TF1+, mais aussi sur notre site et les réseaux sociaux. Les plateformes comme YouTube ou Instagram nous permettent de toucher des publics totalement nouveaux. Certains découvrent Le Figaro à travers un extrait sur les réseaux. Ils se familiarisent avec notre ton, reviennent sur notre site gratuit, puis s’abonnent à une offre payante… et, pourquoi pas, deviennent lecteurs papier.



































