F. LEBORGNE (IDATE) : «Les géants de l’internet devraient venir perturber l’écosystème des droits sportifs»

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Florence LE BORGNE, TV & Digital Content Lead Analyst à l’IDATE

Les contenus sont plus que jamais au centre de tous les intérêts : chaînes de TV, opérateurs télécoms et maintenant GAFA sont désormais en concurrence pour faire l’acquisition de droits «premium», voire pour racheter des sociétés de production. Cette course à la détention des contenus s’accompagne de la personnalisation de l’expérience utilisateur qui valorise le contenu et renforce l’adhésion du consommateur. Détails avec Florence LE BORGNE, TV & Digital Content Lead Analyst chez l’IDATE interrogé dans le cadre du dernier Digiworld Summit.

MEDIA +

Faut-il investir aujourd’hui davantage dans les contenus ou dans l’expérience utilisateur ?

FLORENCE LE BORGNE

A l’heure actuelle, nous constatons une réelle effervescence autour de l’acquisition de contenus. Les opérateurs télécoms ont fait des mouvements remarqués dans le secteur à travers de grosses acquisitions de groupes médias notamment. Aux Etats-Unis, TNT a acquis le bouquet satellite Direct TV ainsi que Time Warner. En 2011, Comcast s’est offert NBC Universal ainsi que les studios DreamWorks en 2016. Au niveau européen, Téléfonica s’est acheté CANAL+ Espagne. En parallèle de ces gros mouvements qui engagent des sommes colossales, la course à l’acquisition des droits sportifs se poursuit, que ce soit pour SFR en France, Proximus sur le marché belge, Swisscom en Suisse. Il se passe la même chose sur l’achat de contenus séries et cinéma pour l’édition de chaînes comme OCS ou pour le développement de services à la demande.

MEDIA +

Les éditeurs de TV traditionnelle remontent-ils aussi dans la chaîne de valeur ?

FLORENCE LE BORGNE

Oui, en faisant l’acquisition de sociétés de production ou de services OTT. On a vu notamment TF1 racheter Newen. En début d’année, nous avons assisté à une opération entre TF1, Mediaset et ProSiebenSat.1 dans une participation commune à Studio71, une société pour la production de contenus OTT à l’échelle internationale. Enfin, le paysage ne serait pas complet si on oubliait les GAFA et les géants de l’internet qui investissent dans les séries et le cinéma. Facebook et Apple ont annoncé leur volonté dans ce domaine. Twitter, Yahoo, Facebook et Amazon se lancent aussi dans l’acquisition de droits sportifs spécifiques OTT, ainsi que dans la création de contenus originaux à destination d’une diffusion sur internet. S’il y a bien un secteur d’activité qui ne risque pas de disparaître demain, c’est celui de la création de contenus. Pour autant, on peut s’interroger sur les formes de contenus qui seront consommées demain.

MEDIA +

Avez-vous une idée ?

FLORENCE LE BORGNE

Quand on voit l’émergence de la consommation de vidéos sur YouTube avec le phénomène des YouTubers, quand on voit le développement de l’e-Sport et quand on entend dire que les plus jeunes sont moins consommateurs de football à la télévision que les générations plus âgées, on peut se poser la question de l’intérêt du public sur ces contenus d’ici 15-20 ans.

MEDIA +

Face à la profusion de contenus, certains acteurs peuvent-ils y perdre des plumes ?

FLORENCE LE BORGNE

Historiquement, ça a toujours été le cas. En France il y a quelques années, nous avons assisté à la course entre CANALSAT et TPS pour l’acquisition de droits sportifs et de contenus cinéma. Au final, CANAL avait surenchéri de façon colossale pour être sûr de remporter les droits et aller tuer la concurrence. Ça a été vrai aussi dans tous les autres marchés. Le phénomène n’est pas nouveau et nous pouvons nous attendre à des situations comparables à l’échelle nationale et internationale. Quand on voit la multiplication des acteurs français, ne serait-ce que sur le sport entre SFR, beIN SPORTS et CANAL+, on voit bien à quel point cela fragilise les acteurs en place. beIN qui était le premier à attaquer CANAL+ n’est pas non plus dans une situation extrêmement favorable. Rien que sur le marché français, nous aurons un bon test très rapidement avec la remise en jeu des droits de la Ligue 1 dans les prochains mois. En fonction des différents gagnants, cela donnera une petite idée de l’évolution de la concurrence.

MEDIA +

Les géants de l’internet vont-ils venir concurrencer l’écosystème des droits sportifs ?

FLORENCE LE BORGNE

On ne sait pas ce que les géants de l’internet décideront de faire dans ce domaine. Pour le moment, ils y vont assez prudemment.

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Quid de l’expérience utilisateur dans les investissements ?

FLORENCE LE BORGNE

Les consommateurs veulent du contenu mais au-delà de cet aspect, ils souhaitent une expérience utilisateur adéquate. Une expérience qui revêt des formes multiples qui consiste à améliorer les outils de recommandation pour identifier le contenu pertinent voulu par l’utilisateur. Cela repose sur un enrichissement de l’expérience par la réalité virtuelle, la réalité augmentée et des interfaces plus intuitives et ergonomiques qui facilitent la recherche et la navigation. Lorsqu’on parle d’améliorer l’expérience utilisateur, il faut pour cela investir sur les infrastructures, les débits et les logiciels. Pour autant, dans l’environnement actuel, les investissements sont de plus en plus contraints. La question est de savoir s’il faut renoncer à certains types de contenus pour axer davantage sur l’infrastructure et les outils de recommandation.