La vénérable British Library de Londres visée par une cyberattaque

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Une cyberattaque ayant visé la vénérable British Library de Londres a révélé la vulnérabilité des institutions universitaires britanniques, bien moins protégées que les banques, les entreprises ou les infrastructures essentielles. Fin octobre, la bibliothèque nationale britannique a annoncé que ses services numériques, incluant son catalogue, étaient hors service en raison d’une cyberattaque, rendant impossible toute recherche de documents. Les 600.000 thèses qu’elle garde, vitales pour les étudiants et les chercheurs, étaient aussi inaccessibles en ligne. «Il s’agit d’une énorme bibliothèque numérique, de journaux capitaux pour écrire des travaux de recherche», explique Louise Marie Hurel, chercheure à la London School of Economics et au sein du programme dédié à la cybersécurité au centre de réflexion Rusi. Son rôle «n’est pas seulement de prêter ou d’emprunter des livres (…), c’est un trésor national en terme de savoirs». La collection de la bibliothèque est l’une des plus importantes au monde, avec 170 millions de livres, magazines, manuscrits, journaux, mais aussi documents numériques et enregistrements sonores. Parmi ses pièces rares figurent notamment le plus ancien exemplaire du poème épique anglais «Beowulf» et la première édition rassemblant des oeuvres de William Shakespeare. Si le catalogue est de nouveau accessible en ligne depuis lundi, Azeem Aleem, directeur pour l’Europe du nord au sein de la société de cybertechnologie Sygnia, affirme que la situation reste «critique», la bibliothèque indiquant qu’elle aura besoin de plusieurs mois pour restaurer l’ensemble des services touchés. Pour lui, cette attaque montre à quel point le milieu universitaire et le secteur public sont devenus des «mines d’or» pour les hackers, avec souvent des protocoles de sécurité moins drastiques. Le groupe de hackers Rhysida a revendiqué l’attaque contre la British Library et réclamé une rançon de 20 bitcoins (plus de 760.000 euros au cours de mardi) pour le débloquer. Selon Paul Tumelty, responsable de Mandiant Consulting, société de conseil en cybersécurité appartenant à Google, les hackers ont probablement mis «un premier pied» dans le système via «du phishing ou l’exploitation d’une vulnérabilité», comme par exemple l’ouverture par un membre du personnel d’une pièce jointe piégée dans un mail. Si les données piratées apparaissent moins sensibles que dans d’autres secteurs, la réputation de la British Library est telle qu’elle en fait une cible de choix, estime Azeem Aleem. La bibliothèque a refusé de payer la rançon et Rhysida a mis sur le dark web environ 500.000 fichiers contenant les données personnelles des visiteurs, des abonnés et du personnel. Mais la remise en état de son système devrait coûter au moins 6 millions de livres (6,9 millions d’euros), soit 40% des réserves financières de l’institution. Son directeur général Roly Keating a estimé sur un article de blog que la tradition d’ouverture de l’institution avait été utilisée contre elle. «Notre profond engagement à l’ouverture, l’accès et la découverte signifie que nous exploitons pleinement les immenses possibilités offertes par la technologie, tandis qu’en tant que gardiens de nos collections nous sommes aussi confrontés au défi toujours croissant de protéger notre patrimoine numérique des attaques», a-t-il affirmé. Pour Louise Marie Hurel, ces «valeurs cardinales» n’ont pas besoin d’être abandonnées, seulement mieux protégées: «Cela signifie être plus prudent dans les pratiques de sauvegarde de base, et veiller à investir un peu plus dans la cybersécurité». Elle appelle ainsi le gouvernement à améliorer la prise de conscience et à classer le secteur de l’éducation parmi les infrastructures essentielles du RU. Il ne s’agit pas seulement d’empêcher les attaques mais aussi d’en atténuer les conséquences, explique Azeem Aleem, qui ajoute que les hackers ont pu avoir un accès illimité au réseau de la British Library «pendant une à deux semaines, voire plus».