Les géants de la tech visés par Pékin

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Après Didi, le «Uber chinois» tout juste entré à Wall Street, deux autres sociétés chinoises du numérique et cotées aux Etats-Unis sont visées lundi par une enquête de Pékin, témoignant du durcissement des autorités vis-à-vis des géants de l’internet. Ces derniers ont connu une croissance fulgurante en quelques années grâce à une législation favorable et à l’absence de véritable concurrent étranger. Et avec leurs applications (messagerie, VTC, paiement en ligne…), ils sont désormais dans la vie quotidienne de la quasi-totalité des Chinois. Mais cette influence croissante est freinée depuis quelques mois à coup d’enquêtes, de sanctions ou de suspension d’introduction en Bourse. Depuis ce lundi, deux nouvelles sociétés sont visées par une enquête concernant leur collecte de données personnelles: Full Truck Alliance (qui possède deux applications de transport de fret et de réservation de camions – Yunmanman et Huochebang) et Kanzhun (propriétaire du champion de la recherche d’emploi BOSS Zhipin). «Le message des régulateurs, c’est: soyez déjà en règle en Chine avant d’aller vous introduire en Bourse à l’étranger», déclare Kendra Schaefer, spécialiste de la tech au cabinet Trivium China. Les deux sociétés visées lundi ne peuvent plus accepter de nouvelles inscriptions durant l’enquête. Celle-ci vise à «prévenir les risques pour la sécurité des données nationales, sauvegarder la sécurité nationale et protéger l’intérêt public», selon l’Administration chinoise du cyberespace (CAC). Dimanche, Pékin avait ordonné le retrait des boutiques d’applications de Didi, géant ultradominant de la réservation de voitures avec chauffeur (VTC), à la suite d’une enquête pour «violation grave de la réglementation en matière de collecte des données des utilisateurs». Aucun détail sur la nature des faits n’a été annoncé. Si l’application Didi ne peut plus être téléchargée, elle reste pleinement utilisable pour les usagers qui l’avaient déjà sur leur téléphone. Il s’agit toutefois d’un coup d’arrêt pour Didi, juste après avoir levé 4,4 milliards de dollars (3,7 milliards d’euros) la semaine dernière à l’occasion de son introduction à Wall Street. «La compagnie s’attend à ce que le retrait de l’application ait un impact négatif sur ses revenus en Chine», a-t-elle concédé dans un communiqué. Fondé en 2012 par Cheng Wei, ex-cadre du géant chinois du commerce en ligne Alibaba, Didi est disponible dans 15 pays, dont la Russie et l’Australie. Elle domine le marché chinois des VTC depuis qu’elle a chassé son rival américain Uber en 2016 après une guerre des prix impitoyable. L’application revendique 493 millions d’utilisateurs actifs annuels et 15 millions de chauffeurs. «Le tour de vis dans le secteur de la tech est clair», estime Kevin Kwek, analyste au cabinet américain Bernstein, et la tendance inquiète les investisseurs. A la Bourse de Hong Kong, les grands noms chinois du secteur ont dévissé lundi: des mastodontes du e-commerce Meituan (-5,6%) et Alibaba (près de -3%) jusqu’au géant de l’internet Tencent (-3,6%) – qui détient une participation dans Didi. Le tabloïd «Global Times», chien de garde des autorités, a salué l’action des régulateurs, appelant à empêcher les entreprises de l’internet «de créer une base de données personnelles de Chinois encore plus détaillée que celle de l’État». Dans un contexte de rivalité Pékin-Washington en matière technologique, une rumeur avait accusé ce week-end Didi d’avoir partagé des données chinoises avec les Etats-Unis. «Absolument impossible», a réagi sur les réseaux sociaux un haut responsable de l’entreprise. En 2020, les régulateurs avaient empêché au dernier moment une gigantesque introduction en Bourse à 34 milliards de dollars d’Ant Group. Cette société financière, émanation d’Alibaba, possède le système chinois ultradominant de paiement en ligne Alipay. Une enquête anti-monopole avait suivi contre Alibaba, fondé par le charismatique multimilliardaire Jack Ma, qui n’a quasiment plus été vu en public depuis.