«Science et Vie» vidé de ses journalistes scientifiques

428

Un magazine de vulgarisation scientifique sans journalistes spécialisés? Le mensuel «Science et Vie» traverse une «crise historique» après la démission de la quasi-totalité de ses rédacteurs, opposés aux méthodes de son propriétaire Reworld Media. La menace d’un départ collectif était brandie depuis l’automne par une rédaction inquiète pour l’indépendance et la qualité du titre, apprécié du grand public comme des chercheurs depuis 1913. Elle s’est concrétisé début mars, 9 journalistes ayant «jeté l’éponge», dont 5 titulaires (une rédactrice, une cheffe de service, deux rédacteurs en chef adjoints et une secrétaire de rédaction), et 4 pigistes, dont le rédacteur en chef des hors séries. Avant eux, l’ancien directeur de la rédaction, Hervé Poirier, était parti en octobre après 21 ans de maison, suivi en janvier par la rédactrice en chef adjointe Mathilde Fontez. En cause: des «désaccords» avec Reworld, groupe à la réputation sulfureuse, régulièrement accusé d’entretenir la confusion entre espaces publicitaires et contenus éditoriaux, en externalisant leur production. Les 5 titulaires «ne sont pas remplacés», s’est indignée dans un communiqué la société des journalistes (SDJ) de «Science et Vie», déplorant «l’absence totale d’expertise scientifique» de la rédaction survivante. Parmi ses 8 titulaires figure un «dernier» rédacteur spécialisé, promu rédacteur en chef adjoint, ainsi que des maquettistes, iconographes… et le rédacteur en chef, Philippe Bourbeillon, un ancien de «VSD», au profil «non scientifique». Le travail de veille et la «quasi-totalité de la rédaction des articles» sont donc confiées aux pigistes sans «équipe rédactionnelle interne» pour assurer la «cohésion éditoriale», estime la SDJ, regrettant qu’aucun n’ait été titularisé pour compenser les départs. «Cela ressemble à une coquille vide maintenant», où prime le «remplissage de pages» sans «construction», déplore une ancienne rédactrice qui a souhaité rester anonyme. En outre, «la conception et la réalisation des hors-série ont été entièrement externalisées et confiées à l’agence Com’Press», relève la SDJ. Le groupe, qui n’a pas souhaité réagir, est devenu le leader de la presse magazine à l’été 2019 après le rachat controversé de la filiale française de Mondadori et ses titres phares comme «Science et Vie», «Auto Plus», «Biba», «Grazia»… «Science et Vie» comptait alors une vingtaine de journalistes, rappelle la SDJ, mais certains avaient préféré quitter le navire en faisant jouer leur clause de cession. Deux équivalents temps plein étaient restés vacants, au grand dam de la rédaction, qui dénonçait depuis l’automne un manque d’effectifs. Avant de se voir déposséder de son site internet, confié à des «chargés de contenus» non journalistes cumulant les erreurs. En témoigne cet article sur la remise en cause supposée de la date d’éruption du Vésuve, une «fausse information» toujours en ligne. Ou un autre sur le lien entre carence en vitamine D et risque accru d’infection au Covid-19, en contradiction avec une enquête du mensuel papier. Mais les rassemblements, grève et autre motion de défiance à l’encontre de la direction «n’ont pas permis de faire bouger les lignes», selon l’ancienne journaliste de «Science et Vie». «Reworld Media vient donc de tuer un journal centenaire» et son fondateur, Pascal Chevalier, «d’inventer le journalisme (!!!) sans journalistes» s’est indignée mardi l’économiste spécialiste des médias Julia Cagé, sur Twitter. Elle y avait lancé en décembre le compte «Sauvons Science et Vie» et une pétition comptant plus de 27.000 signataires. Dans une tribune au «Monde», quelque 300 universitaires et scientifiques avaient en outre dénoncé les pratiques de Reworld en «ces temps» de «désinformation galopante». Et la ministre de la Culture Roselyne Bachelot avait lancé une mission sur le conditionnement des aides à la presse à la présence de journalistes dans les rédactions, dont les conclusions sont attendues prochainement.