Sortir son smartphone pour filmer l’horreur, un besoin humain fondamental

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Témoins d’un attentat, ils sortent aussitôt leur smartphone pour poster en direct des images sur les réseaux sociaux. Un réflexe qui répond au besoin de raconter ce qu’on a vu, de «faire partie» de l’événement et de partager ses émotions, décuplé par les nouvelles technologies. Les photos prises par des témoins des attentats de Bruxelles ont circulé immédiatement mardi sur les réseaux, puis très vite sur les télévisions et autres médias. Le quotidien «Libération» a ainsi fait sa Une avec une photo amateur. «Les gens comprennent immédiatement ce qui se passe et savent qu’ils sont les témoins privilégiés de quelque chose que tous vont regarder. Ils savent aussi qu’il faut des gens pour filmer, car eux-mêmes avaient auparavant guetté de telles images sur les réseaux. Ils ont l’impression d’être utiles, d’agir, et ont envie de faire partie de l’événement, de dire «j’y étais»», résume Nicolas Vanderbiest, doctorant spécialiste des réseaux sociaux à l’Université catholique de Louvain. «Ce besoin de raconter un événement exceptionnel, d’en faire partie, d’attirer l’attention des autres avec son récit, est un besoin humain fondamental», souligne Stéphane Rusinek, professeur de psychologie à l’Université de Lille 3. «Et plein de gens sont tentés de rester davantage sur place pour avoir plus à raconter». Certains réflexes sont presque devenus des habitudes en cas d’attentat. «Sur les 3 attentats traumatisants en Europe, une mécanique s’est mise en place: des dessins envoyés, un hashtag ou un graphisme à partager, on transcende son avatar en l’habillant d’un drapeau, on se signale «en sécurité» sur Facebook… Bien plus qu’une dimension narcissique, c’est un besoin de chaleur humaine, de se parler, de se rassembler», précise Benoît Raphaël, spécialiste des réseaux sociaux. «Après le danger immédiat qui fait fuir, dès que l’on est un peu en sécurité, on prend une photo», commente M. Rusinek.  Il y a un sentiment de devoir faire savoir ce qui se passe, pour protéger les autres. Cela permet de gérer l’angoisse». «Le succès du slogan. #Jesuischarlie» restera unique, car c’était spontané. Depuis, on s’organise», relève Nicolas Vanderbiest, qui suit de près la formation des hashtags devenant des points de ralliement. #Bruxelles a été utilisé dans 6 millions de tweets contre 40.000 la veille. #Tousensemble n’a recueilli que 40.000 tweets. Puis sont venus #jesuisbruxelles (280.000), #PrayforBrussels (250.000) et #Prayforbelgium» (370.000) mais surtout #stopislam (530.000) un nombre élevé mais cité très souvent pour dénoncer ce slogan lancé par l’extrême droite, analyse-t-il. «Le fait de filmer quand il y a un événement massif n’a fait que s’accentuer, car les réseaux sociaux sont devenus plus grand public, comme les mobiles et la 4G, qui permettent de transmettre des images en temps réel, que ce soit pour un attentats ou pour des intempéries. Pas parce que les gens veulent en profiter mais pour un besoin de partager, de s’exprimer, de se rassurer, de se dorloter», souligne Benoît Raphaël. «On envoie des dessins, des smileys, des messages, des coeurs… On utilise aussi les réseaux comme un moyen d’entraide, un outil collaboratif, comme dans l’opération Portes ouvertes qui s’est répandue à Bruxelles, comme ça a été le cas à Paris». Mais cette circulation d’images risque aussi d’amplifier les peurs, avertit John Brewer, professeur spécialiste des conflits à la Queen’s University de Belfast. Les réseaux sociaux ont «fait s’effondrer le mécanisme de distanciation que nous mettons en place pour nous protéger» de ces événements ultra-violents. «Nous sommes exposés à des traumatismes et des émotions bien plus importants qu’auparavant, car la violence est enregistrée sur les téléphones de gens qui se trouvaient là». «Cependant les réseaux nous permettent à tous d’échanger notre détresse, ce qui la rend moins difficile à supporter», nuance-t-il.