Trafic internet mondial : dans la course aux câbles sous-marins, la France veut faire valoir ses atouts

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Présence maritime aux 4 coins du globe, intérêt du gouvernement et fleurons industriels bien positionnés: dans la course aux câbles sous-marins, la France fait valoir ses multiples atouts, dans un contexte de concurrence mondiale pour le contrôle de ces infrastructures stratégiques. Dans les fonds marins, les quelque 480 câbles qui font transiter 99% du trafic internet mondial font l’objet d’une rivalité entre États, sur fond de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine ou de conflit ukrainien. A la Seyne-sur-Mer (Var), l’inauguration vendredi du nouveau navire câblier de l’opérateur Orange a été l’occasion de démontrer sa volonté de «continuer de jouer un rôle majeur dans ce domaine» face aux acteurs américains et chinois. «Contrôler les infrastructures sous-marines est devenu un enjeu de souveraineté, (…) tant l’accès à la connectivité mondiale, qui s’appuie sur les infrastructures sous-marines, est devenu critique», souligne Christel Heydemann, DG d’Orange, ajoutant que les intérêts sur le sujet «étaient alignés» avec l’État français, qui est son 1er actionnaire. Car ce sont désormais les géants américains du net (Gafam) qui en deviennent les principaux bâtisseurs, en raison de l’explosion des flux de données transitant notamment entre l’Europe et les États-Unis. «Alors qu’en 2010, les Gafam ne possédaient aucune infrastructure réseau dans l’Atlantique, ils en contrôlaient 50% en 2019 et jusqu’à 70% via des investissements conjoints, au détriment des opérateurs historiques» européens, a rappelé vendredi Christel Heydemann. Pour affirmer sa souveraineté dans ce domaine, la Chine tisse avec ses champions nationaux sa propre toile au fond des océans, à travers notamment ses «Nouvelles routes de la soie numériques», le pendant technologique d’un vaste programme d’infrastructures destiné à projeter sa puissance économique en dehors de ses frontières. La France, elle, peut s’appuyer sur des fleurons industriels comme Orange Marine et Alcatel Submarine Networks (ASN), bien positionnés sur toute la chaîne de valeur. Sur la partie production des câbles, segment le plus stratégique de la filière, ASN revendique la place de «leader mondial» avec une part de marché estimée entre 30% et 35%, dans un secteur où il y a seulement 3-4 acteurs majeurs, comme l’Américain Subcom et le Chinois Hengtong. Bien que rachetés par le Finlandais Nokia en 2015, le siège et l’usine principale de l’entreprise sont restés à Calais, tandis que son patron, Alain Biston, est aussi français. Concernant les navires câbliers, Orange Marine et ASN possèdent chacun 7 bateaux, soit environ 30% de la flotte mondiale à eux deux. La France «a un nombre de navires pour être en position d’autonomie si [le pays] était en difficulté sur ses propres câbles», explique Camille Morel, chercheuse rattachée au Centre lyonnais d’études de sécurité internationale et de défense de l’Université Lyon III. Infrastructures sensibles, les câbles sous-marins n’échappent pas aux risques d’espionnage et de sabotage. C’est pour cette raison que le gouvernement français a officialisé en février 2022 sa stratégie de défense des fonds marins, avec l’intention d’accroître ses capacités de surveillance et d’intervention, pour protéger ses intérêts dans sa vaste zone économique exclusive, la 2ème au monde. Car l’autre atout de la France reste sa façade maritime, qui permet à la vingtaine de câbles sous-marins arrivant sur son territoire de relier de nombreuses destinations à travers le globe. Au-delà de l’Atlantique et de la Méditerranée, avec Marseille qui s’est imposé comme 7e «hub» mondial du réseau mondial de câbles sous-marins, l’outre-mer donne accès «à des liaisons de communication avec des pays auxquels on n’aurait pas accès habituellement», selon Camille Morel, citant l’exemple de la Polynésie française «qui est reliée à Hawaï et à l’Australie».