Un présentateur vedette de la télévision pakistanaise abattu au Kenya

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Un présentateur vedette de la télévision pakistanaise, qui avait fui son pays il y a quelques mois pour échapper à une arrestation pour sédition, a été tué par balle au Kenya par la police, suscitant lundi l’indignation d’organisations de protection des médias. Arshad Sharif, 49 ans, était un critique véhément de l’armée, toute puissante au Pakistan, et un partisan de l’ancien Premier ministre Imran Khan, renversé en avril par une motion de censure. Le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif a annoncé s’être entretenu avec le président kényan William Ruto, à qui il a demandé «une enquête équitable et transparente sur cet incident choquant». M. Ruto «a promis une coopération totale, notamment un processus accéléré du retour du corps au Pakistan», a-t-il indiqué. Le porte-parole de la police kényane, Bruno Shioso, a déclaré dans un communiqué «regretter cet incident malheureux». Il a expliqué qu’Arshad Sharif avait été «mortellement blessé» dimanche soir par les tirs d’un policier après que la voiture dont il était le passager avait franchi sans s’arrêter un barrage de police dressé dans la région de Magadi, à une quarantaine de kilomètres de la capitale Nairobi. Selon un rapport de police, la voiture a été touchée par neuf balles avant de continuer sa route jusqu’au domicile d’un autre citoyen pakistanais, où son décès d’«une blessure par balle à la tête qui avait pénétré par l’arrière» a été constaté. Le rapport ajoute qu’au moment des faits, la police avait dressé ce barrage alors qu’elle recherchait une voiture volée et une personne enlevée. En août, M. Sharif avait interviewé sur la chaîne Ary News un proche conseiller d’Imran Khan, Shahbaz Gill, qui avait à cette occasion exhorté les officiers de l’armée à désobéir aux ordres contraires «à la volonté de la majorité (du peuple)». Ces déclarations avaient été considérées comme séditieuses par les autorités. Ary News avait ensuite brièvement été empêchée d’émettre et un mandat d’arrêt avait été émis contre M. Sharif, qui avait alors quitté le pays. La chaîne avait ultérieurement annoncé avoir «coupé (ses) liens» avec le présentateur. M. Gill avait été arrêté après son interview. M. Khan avait ensuite affirmé que son conseiller avait été torturé et qu’il avait subi de sévices sexuels en détention, ce qui lui avait valu plusieurs comparutions devant des tribunaux, pour des accusations d’outrage à magistrat et d’infraction à la loi antiterroriste ensuite abandonnées. «J’ai perdu un ami, un mari et mon journaliste préféré aujourd’hui», a twitté lundi l’épouse de M. Sharif, Javeria Siddique. Les critiques à l’encontre de l’armée et des puissants services de sécurité sont depuis longtemps considérées comme une ligne rouge au Pakistan, classé parmi les pays les plus dangereux au monde pour les professionnels des médias. Le Pakistan occupe la 157e place sur 180 au dernier classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF). RSF a estimé dans un tweet que M. Sharif avait été abattu dans des «circonstances extrêmement floues» et a demandé une enquête internationale de l’ONU sur «ce meurtre troublant».Il est «d’autant plus préoccupant que ce journaliste venait de quitter son pays pour éviter harcèlement et arrestation», ajoute l’organisation. L’appel de RSF a été repris par l’association des journalistes kényans (Kenya Editors’ Guild), affirmant que les responsables devraient être traduits en justice. «Cela démontrerait non seulement la capacité du Kenya et du gouvernement à protéger ses citoyens et ses visiteurs, mais assurerait également aux Kényans et à la communauté internationale que le Kenya est un pays sûr pour tout le monde, y compris les journalistes dont il devrait protéger les droits». Début octobre, le président kényan s’est engagé à remanier les forces de sécurité kényanes et à dissoudre une unité de police accusée d’exécutions extrajudiciaires. Selon l’association Missing Voices, qui milite contre les exécutions extrajudiciaires au Kenya, il y a eu 1.264 morts aux mains de la police depuis 2017.