Fraudes aux cryptomonnaies: les enquêtes restent l’exception

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Les arnaques et piratages liés aux cryptomonnaies ont atteint des sommets, mais les enquêtes restent l’exception et débouchent encore rarement sur des condamnations ou des dédommagements pour les victimes, constatent les observateurs de l’industrie. Un détective en ligne connu sous le nom de ZachXBT a donc été très surpris quand le parquet de Paris a annoncé la semaine dernière la mise en examen de 5 personnes grâce à ses investigations. Dans un article de blog intitulé «Scammers in Paris» publié en août, il avait en effet détaillé le vol de plusieurs millions de dollars de NFT, ces certificats d’authenticité liés à des objets numériques et reposant sur la technologie des chaînes de blocs, ou «blockchain», également à la base des cryptoactifs. «C’est super qu’ils reconnaissent ma contribution», s’est réjoui ZachXBT sur Twitter, où il compte plus de 305.000 abonnés. L’internaute, qui dit avoir enquêté sur des vols en cryptomonnaies d’une valeur totale de 250 millions de dollars, a toutefois indiqué que ce coup de filet était, à sa connaissance, une première. Pour les autorités européennes et américaines, la lutte contre la crypto-criminalité a généralement trait à des affaires de financement d’activités terroristes, de blanchiment d’argent ou de contournement de sanctions. Les régulateurs américains communiquent aussi sur des cas emblématiques, comme celui d’un couple new-yorkais accusé d’avoir cherché à blanchir un magot de bitcoins évalué à 3,6 milliards de dollars, ou, plus récemment, celui de la star de télé-réalité Kim Kardashian, mise à l’amende pour avoir fait de la publicité dissimulée pour une cryptomonnaie. Mais des délits de basse intensité, moins médiatisés, passent souvent sous les radars. Aux États-Unis, l’unité du ministère de la Justice enquêtant sur les fraudes et les manipulations en cryptomonnaies n’a inculpé que huit suspects entre janvier et juin. Selon Chainalysis, plus de 3,5 milliards de dollars ont été perdus à l’échelle mondiale en raison d’escroqueries et de piratages aux cryptomonnaies entre janvier et juillet. Cette société commercialise des outils d’analyse et d’enquête sur la «blockchain». Les forces de l’ordre, qui manquent de ressources et d’expertise, font partie de ses clients. Lors d’une conférence organisée récemment par Chainalysis, l’ancien chef de la police new-yorkaise Terry Monahan a expliqué que, lorsqu’il était en poste en 2020, les agents étaient confrontés en moyenne à 3 cas de fraude aux cryptomonnaies par jour, mais que la plupart des dossiers étaient clos, faute de moyens. «Les victimes n’ont nulle part où aller», a-t-il déclaré, soulignant que les agences fédérales préféraient s’intéresser aux affaires de grande ampleur. Certaines personnes se tournent vers ZachXBT, qui affirme avoir aidé des victimes à récupérer une partie de leurs fonds. «La loi est très peu appliquée dans l’univers des cryptomonnaies», juge le détective en ligne. Selon lui, les autorités américaines prêtent davantage attention aux escroqueries du quotidien, notamment depuis la faillite en juillet de la plateforme de placement en cryptomonnaies Celsius, redevable de 4,7 milliards de dollars à ses clients. Beaucoup des investisseurs lésés étaient de petits épargnants – retraités, mères de famille, instituteurs – ayant tout misé sur des gains faciles et rapides. Selon Omid Malekan, qui enseigne à l’école de commerce de l’université Columbia, une lutte plus efficace passerait par la fin de l’anonymat sur les blockchains, les bases de données où sont stockées les transactions. «Une fois qu’un seul participant est démasqué, son historique sur la blockchain devient une mine de données pour traquer l’ensemble de son réseau», explique M. Malekan. Mais plusieurs spécialistes estiment qu’il sera difficile de réparer les dommages causés par des années de laxisme. «Je pense que le manque de répression encourage les escrocs et renforce leur détermination», affirme l’ingénieure Molly White