Bolloré, un empire médiatique construit par la force

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Avant le «JDD», CNews, Europe 1 ou «Paris Match», le milliardaire ultra-conservateur Vincent Bolloré a construit par la force son empire médiatique au prix de grèves et de départs en masse de journalistes. Avec l’annonce de l’arrivée à la tête de l’hebdomadaire du dimanche de Geoffroy Lejeune, venu du magazine d’extrême droite «Valeurs actuelles», la rédaction du «JDD» redoute de voir se répéter une méthode déjà dénoncée ailleurs : valse des dirigeants et interventions sur la ligne éditoriale, au prix d’une hémorragie de journalistes.

– Sièges éjectables au «JDD» et à «Match»: L’arrivée de Geoffroy Lejeune, qui a «ulcéré» la rédaction du «JDD», qui s’est mise en grève à la quasi-unanimité, fait suite à une série de remplacements à la tête du journal. Lejeune succède à Jérôme Béglé, nommé DG de la rédaction de «Paris Match», autre titre du groupe Lagardère. Chroniqueur régulier sur CNews, Béglé était arrivé début 2022 à la tête du «JDD», provoquant déjà à l’époque la «vive préoccupation» de la rédaction à moins de 100 jours de la présidentielle. Son prédécesseur, Jérôme Bellay, n’était resté que quelques mois, après le limogeage de Hervé Gattegno. A «Paris Match», l’année 2022 a été marquée par le licenciement du rédacteur en chef politique et économie, Bruno Jeudy, après avoir, selon la rédaction, «critiqué» à plusieurs reprises «l’ingérence» de la direction dans les choix éditoriaux, dont une 1ère page consacrée à une figure de proue des conservateurs catholiques. Une motion de censure a été votée contre la direction et quelque 25 journalistes ont quitté la rédaction.

– Europe 1 et CNews : Le milliardaire décide au printemps 2021 de rapprocher Europe 1 et sa chaîne CNews. Inquiets d’un changement de ligne éditoriale vers la droite, les salariés de la radio entament une grève. Au fil des semaines, des dizaines de journalistes quittent la station, contraints ou de leur plein gré. Aujourd’hui, Europe 1 et Cnews partagent plusieurs têtes d’affiche, comme Laurence Ferrari et Sonia Mabrouk. Pressentie par beaucoup pour la rentrée, une arrivée sur Europe 1 de Pascal Praud, pilier de CNews, marquerait une nouvelle étape de ce rapprochement redouté par des salariés de la radio.

– A l’assaut des magazines : L’acquisition en mai 2021 par Vivendi du 1er groupe de presse magazine en France, Prisma Media («Télé-Loisirs», «Capital»…), avait provoqué une vague de départs. Inquiets notamment d’une dégradation de leurs conditions de travail, des journalistes avaient fait valoir leur clause de cession, qui permet en cas de changement d’actionnaire de partir en bénéficiant des indemnités de licenciement. Six mois plus tard, une soixantaine de salariés et pigistes avaient quitté le groupe.

– Canal+ ne rit plus : Le 1er conflit marquant lié à une prise de contrôle par Bolloré remonte à la mise au pas de Canal+, à partir de 2015. Le «Zapping» et le magazine «Spécial Investigation» sont arrêtés, son rédacteur en chef adjoint ayant notamment accusé Canal+ de censure. Les marionnettes satiriques «Les Guignols de l’info» seront mises au placard, Vincent Bolloré leur reprochant un «abus de dérision». En 2020, le renvoi de l’humoriste Sébastien Thoen du service des sports a suscité une vague de soutien et le départ de quelque 25 salariés.

– Cnews, naissance dans la douleur: en 2016, l’équipe de la chaîne d’information du groupe Canal+, iTélé, entame un bras de fer avec la maison mère, protestant contre une réduction drastique des effectifs. L’arrivée à l’antenne de Jean-Marc Morandini, mis en examen pour «corruption de mineurs aggravée», met aussi le feu aux poudres. Les salariés portent une grève très médiatique pendant 31 jours les. N’obtenant que de maigres concessions, la quasi-totalité des journalistes quitte la chaîne, rebaptisée CNews, qui prendra un virage très à droite dans les années suivantes.