Dikh TV, 1ère chaîne rom de Hongrie

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Décors aux couleurs acidulées, présentatrices avenantes: à 1ère vue, la chaîne hongroise de télévision Dikh TV ressemble à toutes ses concurrentes privées, avec ses talk-shows, ses émissions de cuisine et ses programmes pour enfants. Mais le slogan lancé par l’équipe aux caméras du petit studio annonce la différence : «Sur les Roms, mais pas uniquement pour les Roms!». Dikh TV – «Regardez» en langue romani – est la 1ère chaîne rom de Hongrie. Depuis le mois de septembre, des millions de foyers peuvent découvrir sur le câble l’univers de cette minorité encore récemment pointée du doigt par le 1er ministre nationaliste Viktor Orban. Son fondateur, Elek Balogh, 48 ans, moustache et bouc finement entretenus, veut «apporter la culture et les traditions roms à un public plus large», dit-il. Les programmes sont encore enregistrés dans un centre culturel rom tristounet, au pied d’une barre d’immeubles de Budapest, mais un contrat récemment signé avec une régie publicitaire ouvre de nouveaux horizons. Un entrepreneur roumain des médias, Radu Morar, a également investi dans le projet. La chaîne a embauché une vingtaine de personnes. Elle déménagera en avril dans un nouveau studio professionnel et «à ce stade, ses perspectives de développement paraissent plutôt positives», observe le rédacteur en chef d’un portail hongrois d’information sur les médias, Daniel Szalay. «On ambitionne maintenant de créer une génération intellectuelle rom», lance l’animatrice Fruzsina Balogh, 26 ans. La population rom en Hongrie représente 7,5% des dix millions d’habitants et plus de 80% vivent sous le seuil de risque de pauvreté retenu par Eurostat. Comme dans toute l’Europe centrale, «trop d’adolescents roms quittent encore l’école sans le moindre diplôme», constate Bernard Rorke, du Centre européen pour les droits des Roms. En 2015, lorsqu’il a lancé son projet sur YouTube, Elek Balogh avait pour objectif de faire vivre en ligne sa communauté, «lassé», explique-t-il, des clichés véhiculés. «Des amis ont fourni un peu de matériel, tout le monde a mis la main à la pâte», se souvient l’ancien gamin d’un ghetto rom qui a grandi avec huit frères et soeurs dans un cabanon en terre battue, en périphérie d’une localité, Nagyecsed, située près de la frontière roumaine. En autoditacte, il bricole d’abord une émission musicale, puis un talk-show et obtient un succès inespéré en réalisant un clip pour une collégienne: la vidéo enregistre des millions de vues. Dans la foulée, Elek Balogh écrit une petite série à l’intrigue réaliste, mettant en scène une famille rom étranglée par l’endettement, un problème qui empêche bien des Hongrois de fermer l’oeil. «C’est là qu’on a reçu beaucoup de lettres de félicitations de spectateurs non roms». Montrer que tout le monde souffre des mêmes maux permet selon lui de rapprocher les gens. «Les médias généralistes ne nous montrent que sous un mauvais jour», estime M. Balogh, qui n’aime pas les programmes hebdomadaires destinés aux Roms sur la télévision publique hongroise, relégués aux créneaux «mortels» du matin et donc très peu regardés selon lui. «Tout ce qui est positif est ignoré», dénonce-t-il. Depuis septembre dernier, Viktor Orban est engagé dans un bras de fer avec la communauté rom de la petite commune de Gyongyospata (nord), à laquelle il refuse de payer les 100 millions de forints (près de 300.000 euros) de dommages et intérêts ordonnés par la justice lors d’une condamnation inédite: les autorités hongroises ont été jugées coupables de ségrégation scolaire vis-à-vis d’une soixantaine d’enfants de la localité. «Même quand un juge nous défend, on sert de bouc émissaire», regrette Elek Balogh. «Dikh TV refuse délibérément de faire de la politique», ajoute-t-il cependant, alors que la liberté des médias s’est largement détériorée durant les mandats de Viktor Orban, selon de multiples rapports internationaux.