Formations à la «blockchain»: des interrogations sur le devenir des cursus

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Manque de débouchés, frontière floue entre marketing et pédagogie: une polémique autour d’un partenariat entre la plateforme d’échanges de cryptomonnaies Binance et un centre de formation français interroge sur le devenir des cursus dans le secteur des chaînes de blocs, ou «blockchain». Cette technologie, qui s’apparente à un registre inviolable permettant d’authentifier des transactions en ligne, sert aussi de support aux NFT par exemple. Elle a fait l’objet d’une «stratégie nationale» lancée par le gouvernement en 2019, afin de faire de la France une place forte dans ce domaine. L’affaire est partie d’un article du quotidien britannique «Financial Times» pointant du doigt les éventuelles dérives de ce partenariat entre la branche philanthropique de Binance et l’école Simplon. Il évoquait notamment la nécessité pour les élèves de créer un compte sur la plateforme afin de suivre la formation, alors que la règlementation française lui interdit toute démarche commerciale. Binance et Simplon ont réagi dans un communiqué en dénonçant des «erreurs factuelles» et le président de Binance France David Prinçay a affirmé que le partenariat n’avait entraîné «absolument aucune dérive marketing». Cet article a tout de même mis en lumière les difficultés concernant cet accord. Celui-ci, qui devait aboutir à la formation de 10.000 personnes, n’a ainsi pas atteint son objectif, avec 5.272 élèves qui ont suivi le cursus. Simplon a d’ailleurs décidé de ne plus proposer de formation dans ce domaine. «Il n’y a pas d’offres d’emplois massives dans ces métiers-là. Notre but, c’est de faire de l’insertion professionnelle», explique son directeur, Frédéric Bardeau. «On s’est dit qu’il y avait des emplois pour les chômeurs que nous formons et, en fait, il y en a très peu. Il y a surtout des gens qui sont déjà développeurs et qui veulent se former à la «blockchain»». Son constat est à rebours des recommandations formulées en avril 2021 par un rapport remis aux ministères de l’Économie et de l’Enseignement supérieur, qui appelait à «augmenter rapidement le nombre de formations de niveau master». A cette époque, leur nombre s’élevait à 29, contre 15 dans le reste de l’Europe, témoignant de la volonté de la France d’être en pointe concernant cette technologie sur le continent. Les perspectives ne semblent en tout cas plus aussi florissantes désormais. Si des écoles d’ingénieurs ou de commerce ont intégré la chaîne de blocs à leur offre, la part accordée à cette technologie reste minime et s’insère dans un essaim d’autres innovations. Grégoire Genest, cofondateur d’Albert School, une école de commerce centrée sur le numérique, confirme que la «blockchain» n’est enseignée que de «manière marginale» dans ses formations post-bac. S’il évoque une «technologie très intéressante», il insiste sur son aspect limité par rapport à d’autres avancées telles que l’IA, qualifiée de «rupture technologique». Le président d’Albert School voit, lui, dans l’intérêt des étudiants pour la «blockchain» les effets d’«opérations de communication du monde des cryptomonnaies» vantant un domaine présenté comme lucratif. Car, si la valeur du Bitcoin est remontée ces derniers mois après avoir fortement baissé, l’état du marché de l’emploi est moins porteur: Binance a licencié 1.000 personnes aux États-Unis durant l’été et la start-up française Ledger, spécialisée dans les cryptomonnaies, a annoncé début octobre se séparer de 12% de ses effectifs. Les déboires judiciaires des plateformes, comme la faillite de FTX ou la démission du patron de Binance, qui a plaidé coupable de violation des lois américaines contre le blanchiment, ont également entaché le secteur et par ricochet amoindri l’attrait pour les formations concernant les chaînes de blocs. Pour la députée européenne Aurore Lalucq, seule une meilleure régulation de la part des autorités pourra redorer l’image du secteur auprès du public et des professionnels.