France 2 : «Syrie, le cri étouffé», reportage terrible et implacable co-écrit par Annick Cojean et Manon Loiseau, jeudi soir

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Des femmes syriennes, qui s’expriment à la télévision pour la 1ère fois, dénoncent jeudi soir sur France 2 l’utilisation par le régime syrien du viol de masse comme arme de guerre. «Syrie, le cri étouffé», reportage terrible et implacable co-écrit par la journaliste du «Monde» Annick Cojean et la réalisatrice Manon Loiseau, donne la parole à des rescapées des geôles syriennes, réfugiées en Turquie ou en Jordanie, qui brisent devant la caméra, certaines à visage découvert, le tabou ultime que constitue le viol pour la société syrienne. Comme pendant les guerres d’Ex-Yougoslavie et dans de nombreux autres conflits, notamment en Afrique, le corps des femmes est devenu un enjeu majeur et une arme que les forces du président Bachar Al-Assad utilisent à grande échelle, dénonce le documentaire, diffusé dans la case «Infrarouge». «Ce film n’aurait jamais pu voir le jour sans l’aide de Souad Weidi, une universitaire libyenne qui a fait, depuis la révolution dans son pays, du sort des femmes violées son combat» assure Annick Cojean, qui a réalisé une enquête sur le sujet en mars 2014. «Grâce à ses contacts avec des organisations de défense des droits humains syriennes, elle a persuadé ces femmes, victimes à double titre de ce crime terrible qu’est le viol, de témoigner», précise la journaliste. «Nous avons fait une plongée, avec Annick et Souad, pour recueillir ces paroles si difficiles, si fragiles et si douloureuses des femmes syriennes» a expliqué lundi soir, lors d’une projection en avant-première à Paris, la réalisatrice Manon Loiseau. «Souad, tu as permis que ces femmes disent l’indicible». L’une des six femmes qui témoignent était lieutenant dans l’armée fidèle au président Bachar Al-Assad. Elle parle dans l’ombre, dos à la caméra. «Le régime a utilisé le viol, l’a planifié pour briser l’homme syrien», dit-elle. «Quand un homme est soupçonné d’avoir rejoint les rebelles, sa femme, ses filles, sa mère sont arrêtées, violées. C’est enregistré et on lui envoie le film, pour le détruire». Fouzia, elle, parle à visage découvert. Ses quatre filles («belles comme la lune») ont été violées puis égorgées sous ses yeux, dans sa maison envahie par les chabiha, miliciens du régime. Son mari, ses enfants ont été tués, à part sa fille Racha, qui a survécu malgré quatre balles dans le corps et qui, dans une scène insoutenable, montre sur l’écran de son téléphone une pièce jonchée de cadavres. «Là, ce sont mes deux petits frères, là, c’est mon père, là, c’est ma cousine, là ma soeur». Dans la société syrienne, encore très traditionnelle même dans les grandes villes, la femme violée devient une honte pour la famille. Si elle survit (les disparitions dans les geôles syriennes se comptent par milliers), elles sont au mieux chassées, au pire assassinées.Une femme réfugiée en Turquie, juste de l’autre côté de la frontière, dit : «Parce que j’ai été violée, mon mari a demandé le divorce. Ma mère m’a demandé de partir. Elle m’a dit: «tes frères vont te tuer». Ma mère me manque tellement, si seulement je pouvais l’embrasser, sentir son odeur. Juste une fois. Aujourd’hui, je suis un spectre. Seul mon corps est devant vous. Mon âme est morte». «Ils ont utilisé le corps des femmes comme un lieu de combat, et je veux que nous puissions dire : plus jamais ça, ensemble» lance à l’assistance de l’avant-première, émue aux larmes, Souad Weidi. «Ces femmes sont coupables d’être victimes, et c’est un comble», ajoute Annick Cojean. «Le viol est le piège absolu, le crime parfait, car les victimes ne peuvent pas, sous peine de mort, avouer de quoi elles ont été victimes». Le premier témoignage, une femme aux longs cheveux filmée dans la pénombre, glace le sang. «Trois colosses sont entrés dans la pièce, j’étais assise sur le bord du lit. L’un a dit à l’autre : «Tu commences ou je commence ?» Là, la peur est montée. Ça veut dire quoi, tu commences ou je commence ?».