Grèce : le paysage audiovisuel en plein chaos

372

 

La fermeture abrupte de la radio-télévision publique grecque révèle le chaos régnant dans le paysage audiovisuel public ou privé en Grèce, dû, selon des experts, à une mentalité «clientéliste» et «autoritaire» en matière d’exercice de la liberté d’information. Outre la mainmise des gouvernements successifs sur le groupe historique ERT depuis des décennies, qui a créé un organisme pléthorique, l’Etat grec tolère une «situation temporaire» qui s’éternise dans le secteur privé. Aucune chaîne ne dispose de licence permanente depuis l’ouverture des médias au privé à la fin des années 80, et aucune ne dispose donc d’une réelle autonomie. «Le statut de chaînes ou radios privées est en suspens depuis leur création, il y  a 23 ans, elles ne possèdent que des licences provisoires, ce qui les dispense de payer pour les fréquences qu’elles utilisent», explique Stélios Papathanassopoulos, qui enseigne la sciences des médias à l’Université d’Athènes. Selon une loi de 1998, toute chaîne qui demande une autorisation d’émettre à l’Autorité nationale de Télécommunications et des Postes (EETT) et au conseil de radiotélévision (ESR) est légale, jusqu’à ce qu’elle reçoive une licence permanente. «Aucune licence permanente n’a été octroyée jusqu’ici, ce qui crée une situation quasi incontrôlée, un vide, les chaînes et radios privées restent «otages» de chaque gouvernement», souligne M. Papathanassopoulos. «L’Etat évite de régler ce problème, les licences provisoires permettant d’exercer des politiques de chantage ou clientélistes et perpétuant une politique de mainmise sur l’information», ajoute-t-il. Sous ce régime bancale, une dizaine de chaînes de diffusion nationale et de nombreuses chaînes et radios régionales privées fonctionnent en Grèce, qui compte près de 11 millions d’habitants. Le secteur des médias a été frappé comme le reste de l’économie par la crise depuis quatre ans. Une chaîne de diffusion nationale, Alter, a fermé fin 2011, tandis que des milliers d’employés de presse et journalistes ont été licenciés. Si l’audiovisuel privé souffre d’un contrôle indirect de l’Etat, l’ERT public est «sous le contrôle direct de l’Etat et constitue un terrain privilégié de concurrence des partis», note Persa Zeri, professeur de communication politique à l’Université Pantion. Avec 2.700 salariés, l’ERT, qualifié par l’ONG de défense des journalistes Reporters sans Frontières (RSF) de «média d’Etat», est considérée comme un nid de clientélisme. Tout changement de gouvernement entraîne la nomination d’une nouvelle direction. «L’ERT est devenue une institution pourrie», dit Mme Zeri. Elle souligne que «la classe politique utilise tant le secteur public que le privé en Grèce pour ses propres intérêts, une mentalité reflétée aussi dans l’audiovisuel et créant des liens d’interdépendance». «Le droit à une radio-télévision publique qui sert l’intérêt public et le pluralisme n’est pas respecté», résume-t-elle. La fermeture de l’ERT, qui affecte la production de 5 chaînes de télévision, sept radios nationales, 19 régionales, trois orchestres et une chorale, a été décidée unilatéralement le 11 juin par le Premier ministre conservateur Antonis Samaras, sur fond de poursuite des politiques d’austérité. Cette décision abrupte, «du jamais vu», selon l’Union européenne de radio-télévision (UER), menace la cohésion du gouvernement grec de coalition et provoque de vives réactions à l’étranger. Tout en plaidant pour la réouverture  de l’ERT, Christophe Deloire, DG de RSF, souligne que le secteur des médias en Grèce montre «un entrelacs de conflits d’intérêts entre des armateurs, des propriétaires de chaînes et de médias, et le pouvoir».