Harvey Weinstein, le parrain du cinéma européen

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«Cinéma Paradiso», «Amélie Poulain», «The Artist»… Ces films européens n’auraient pas connu la même carrière aux Etats-Unis sans Harvey Weinstein, au coeur d’un gigantesque scandale sexuel, le producteur ayant longtemps été incontournable pour les acteurs et réalisateurs étrangers voulant percer à Hollywood. «C’était le meilleur pour assurer la partie marketing d’un film aux Etats-Unis», indique le producteur français Vincent Maraval (Wild Bunch) qui lui a vendu plusieurs films dont «The Artist» de Michel Hazanavicius, qui remporta cinq Oscars en 2012. Du jamais vu pour un film français. Qui plus est muet et en noir et blanc. Avec sa société Miramax fondée en 1979 avec son frère Bob, Harvey Weinstein – dont la cinéphilie remonte aux «400 coups» de François Truffaut – a produit d’innombrables succès et revendique plus de 80 Oscars. Pendant longtemps, «Miramax était l’entrée logique pour tout artiste français ou étranger. Harvey prenait un film d’art et d’essai et savait le marketer», se souvient un assistant qui a travaillé pour la société de production à la fin des années 90. «En revanche, il fallait faire à sa façon», poursuit-il. Et d’évoquer les nombreuses coupes réalisées malgré l’opposition des réalisateurs, d’où son surnom de «Harvey scissorhands» («Harvey les mains-ciseaux»). Une mésaventure qui arriva au réalisateur italien Giuseppe Tornatore avec son film «Cinéma Paradiso». Déjà sorti en Italie, le film fut retaillé par Harvey Weinstein pour les Oscars, ce qui lui valut de remporter celui du meilleur film étranger en 1990. Même chose avec le biopic du Français Olivier Dahan, Grace de Monaco (2014), qui fut l’objet d’un bras de fer entre les 2 hommes et connut un flop critique. «Je ne connais pas un réalisateur à qui il n’ait pas imposé de modifier son film. C’est comme si un galeriste disait à un peintre «je vais donner ton tableau à l’encadreur parce qu’aux Etats-Unis, on n’aime pas le bleu et que l’encadreur mette du rouge à la place du bleu», se souvient le Français Jean-Pierre Jeunet. «Il a le pouvoir de tuer un film s’il a envie», souligne-t-il. Et la carrière de nombreux acteurs et actrices a longtemps dépendu de lui. «Tout le monde savait ce que Harvey faisait et personne n’a rien fait. Il est incroyable qu’il ait pu agir comme ça pendant des décennies (…). C’est seulement possible parce qu’il a énormément de pouvoir», a dénoncé l’actrice Léa Seydoux dans «The Guardian». «A Cannes, Harvey Weinstein n’allait pas au marché du film. Il convoque les actrices, les acteurs sous couvert de parler d’un scénario, d’une équipe, etc… Et les gens y vont, parce qu’ils ont envie de travailler», se souvient l’ancien président du festival de Cannes, Gilles Jacob. «Il a une personnalité très colérique, un très gros égo. Il ne supporte pas qu’on lui dise non», renchérit Vincent Maraval, tout en disant ne jamais avoir eu connaissance de «comportements inappropriés». Le producteur est aujourd’hui accusé de harcèlement, agression sexuelle et viols par des actrices. La toute-puissance de Harvey Weinstein, combinée à ses méthodes, s’est parfois retournée contre lui, comme en 2002 quand «Hollywood a décidé de boycotter Miramax». «Pas de chance pour nous, c’était l’année d’«Amélie Poulain», reparti bredouille malgré 5 nominations, se souvient Jean-Pierre Jeunet». En 2005, le très influent producteur-distributeur a quitté Miramax, détenu par Disney, et a fondé sa maison de production, The Weinstein Company. Malgré un court passage à vide, le nabab a remonté la pente aux débuts des années 2010 grâce au succès du «Discours d’un roi» et de «The Artist», tous 2 multirécompensés.Signe de la toute-puissance retrouvée de Harvey Weinstein, le comédien et auteur Seth McFarlane avait ironisé en 2013 en dévoilant le nom des 5 actrices en lice pour l’Oscar du meilleur 2d rôle. «Félicitations (…), vous n’aurez plus besoin de faire semblant d’être attirées par Harvey Weinstein». Une plaisanterie qui, à l’époque, avait fait sourire.