Le Centre Pompidou expose actuellement sa première collection de «jetons non fongibles» (NFT)

278

Le Centre Pompidou expose actuellement sa première collection de «jetons non fongibles» (NFT), un projet pionnier en Europe mais non dépourvu d’écueils, sur fond de turbulences dans le monde de l’art numérique. Deux salles du musée parisien d’art moderne sont ainsi consacrées jusqu’en janvier 2024 à 18 oeuvres numériques récemment acquises, présentées sur des écrans.

Parmi elles, un «cryptopunk», personnage à crête qui est l’un des emblèmes du monde du crypto-art, ou encore «Bitchcoin», représentation imaginaire d’un bitcoin (crypto-monnaie), créé par l’artiste Sarah Meyohas en 2015. Il s’agit de l’un des 1ers NFT, ces fichiers informatiques attachés à une oeuvre d’art numérique. Après plusieurs années de fièvre spéculative, le marché de ces jetons s’est effondré l’an dernier, alors que l’écosystème des crypto-monnaies était secoué par les scandales. Les transactions ont chuté de 94%, passant de 232,7 millions de dollars en 2021 à 13,9 millions de dollars en 2022, selon la société française d’analyse Artprice. Environ la moitié des oeuvres exposées à Pompidou ont été données par leurs auteurs, tandis que d’autres ont été acquises pour quelques dizaines d’euros seulement au taux de change actuel de la crypto-monnaie ethereum, selon la plateforme de marché de NFT OpenSea. «Pour ces artistes, l’idée est d’entrer dans l’histoire de l’art et aussi de s’assurer de la pérennité de leurs oeuvres, parce que le rôle d’un musée est de préserver un patrimoine et donc d’assurer la longévité des oeuvres», justifie Marcella Lista, conservatrice en chef du service des nouveaux médias du Centre Pompidou et commissaire de l’exposition. Mariage de la technologie et de la création, l’art numérique a très vite créé ses propres icônes et mythes, en l’absence de réglementation. L’artiste californien Robness a ainsi offert au musée un portrait imaginaire en 3D de l’inventeur présumé du bitcoin, Satoshi Nakamoto, dont l’identité n’a jamais été révélée. «J’en suis très reconnaissant [au Centre Pompidou]. C’est une expérience très émouvante», a confié Robness lors de son passage à Paris. Le cours des NFT s’est effondré et leur réputation a été ternie par des polémiques liées à la propriété intellectuelle mais cet artiste n’a pas pour autant l’intention d’abandonner ce moyen d’expression. «Cette technologie est comme le courrier électronique: elle ne va pas disparaître», selon Robness. «Si vous commencez à vous préoccuper de la dynamique du marché, vous gaspillez votre énergie. (…) Cela ne vous aide pas à créer». Pour les promoteurs du projet au Centre Pompidou, première institution européenne à lancer sa collection de NFT, le processus a été laborieux. Les transactions sont en effet habituellement réalisées avec des crypto-monnaies. Or, le musée parisien ne peut pas investir dans cet univers risqué et avoir une «double comptabilité», a souligné Marcella Lista. Les achats ont donc été effectués en euros directement auprès des artistes et, pour chaque oeuvre, un contrat a été signé en droit français.Comme tous les collectionneurs de NFT, le Centre Pompidou a dû créer un porte-monnaie électronique sur OpenSea. Ce compte, accessible au public, n’est toutefois qu’une vitrine sur internet, précise Philippe Bertinelli, un des autres commissaires de l’exposition. «On a un système de conservation sur plusieurs serveurs, sur plusieurs supports, qui nous permet, en cas de perte, de panne, d’incendie, (…) d’assurer la pérennité du stockage», a-t-il expliqué.