Le drame tunisien «Un Fils» porte à l’écran la question des relations familiales et des limites de la liberté

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«Un fils», drame familial sur la quête désespérée de deux parents pour trouver l’organe qui sauvera leur enfant blessé, porte à l’écran avec subtilité la question des relations familiales et des limites de la liberté conquise en 2011 en Tunisie. Plusieurs fois primée et accueillie avec enthousiasme en Tunisie où elle est projetée depuis janvier, cette co-production franco-tunisienne sortira en France le 11 mars. Bien qu’il s’agisse d’un premier long métrage, il est porté par des acteurs confirmés, dont le français Sami Bouajila récompensé à la Mostra de Venise pour ce rôle, incarnant des personnages pris dans des dilemmes moraux. «C’est un peu un huis clos à ciel ouvert», explique Sami Bouajila, qui s’est lancé dans l’aventure conquis par le scénario et la «sensibilité» du réalisateur Mehdi Barsaoui. Le dernier court-métrage de ce trentenaire, qui parlait déjà de la famille, avait été primé au Festival du film de Dubaï en 2016. Le film se déroule à Tataouine, dans le sud tunisien, quelques mois après la révolution de 2011 qui a renversé le régime de Ben Ali, et lancé la Tunisie dans un processus de démocratisation inédit. Une famille tunisienne aisée, idéale en apparence, est attaquée et se retrouve précipitée dans une mutation parallèle à celle que traverse son pays lorsque le fils Aziz est grièvement blessé, avec une greffe de foie comme seul espoir de survie. Pendant 1h30, on suit la course effrénée pour trouver un foie, et les obstacles qui ouvrent la porte à des trafics d’organes. Par manque d’information, ou crainte d’enfreindre un éventuel interdit religieux, les dons d’organes restent très peu répandus au Maghreb, une situation que le réalisateur s’emploie à faire changer. «Je voulais en parler pour sensibiliser mes concitoyens: la culture du don d’organes n’est pas développée en Tunisie, et la liste d’attente est très longue», déplore-t-il. «Un fils» a connu quelques déboires – un responsable local craignait de voir brandir un drapeau jihadiste lors du tournage et l’équipe a dû changer de lieu. Mais le film décrit sans complaisance les arrangements avec la loi, la corruption et les inégalités. «S’il y a bien un acquis en Tunisie, c’est vraiment la liberté d’expression», se réjouit Mehdi Barsaoui. Dossiers médicaux qui disparaissent, intermédiaires de mèche avec des forces de sécurité, pots-de-vin : il dépeint la corruption de l’intérieur, avec un réalisme difficilement envisageable avant la révolution de 2011. Via la question des dons d’organes, «Un Fils» interroge la notion de paternité, et met en lumière les limites toujours existantes pour les libertés individuelles en Tunisie, neuf ans après cette révolution qui a conquis de nombreuses libertés publiques. C’est le second film tunisien cette année à aborder frontalement l’adultère et des relations sexuelles hors mariage, passibles de 5 ans de prison. «Il est inacceptable que le régime continue à s’immiscer dans l’espace privé» par des lois «liberticides», martèle le réalisateur, appelant à une mobilisation. Plusieurs textes protégeant les libertés individuelles, proposés en 2018, sont restés lettre morte jusque là. «Le film parle aussi d’émancipation, féminine certes mais aussi masculine», explique M. Barsaoui. «Mes deux personnages principaux, que ce soit l’homme ou la femme, décident de s’affranchir à un certain moment du poids socio-culturel, du poids religieux, surtout du regard de la société». Pardonner plutôt que venger son honneur: ils sortent de leur dilemme par le haut, tirés par l’amour. «On est tous régis par l’amour», souligne Barsaoui. Outre la France, «Un fils» – «Bik Eneich» en arabe, c’est à dire «Si je vis, c’est grâce à toi» – doit sortir dans plus de 20 pays arabes et européens à partir de mars. «C’est une fierté pour moi, pour mon équipe mais surtout pour mon pays», souligne Barsaoui.