Les podcasts renouvellent la façon de parler du féminisme

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Elles ont entre 25 et 35 ans et inventent un nouveau féminisme 2.0, à la fois intime, informé, curieux et décomplexé. Leurs émissions, «Les couilles sur la table», «Un podcast à soi» ou «La poudre» réalisent les meilleures audiences de leurs médias respectifs. Génériques décoiffants (ça fait quel bruit, des «Couilles sur la table»?), interviews en longueur («La Poudre»), savoureux reportages, témoignages et lectures de textes («Un podcast à soi») renouvellent sur les nouveaux médias numériques la façon de parler du féminisme. Lauren Bastide, dont «La Poudre» vient de fêter ses deux ans, a ouvert la voie. «Il y avait vraiment besoin d’espaces où la parole des femmes puisse s’exprimer de façon libre, sans être interrompue, sans être contredite», ajoute-t-elle. «Quand je travaillais chez «Elle» et que je parlais pendant une heure avec une femme pour un portrait, je pouvais en garder à peine le quart, alors que dans le podcast on a vraiment le temps de nuancer», dit-elle. «La Poudre» prend le temps d’une «conversation» au long cours avec ses invitées, de la militante écologiste Claire Nouvian à l’écrivaine du Groenland Niviaq Körneliussen («Homo Sapienne»). «Le son instaure une intimité, on rentre dans une bulle, il y a presque un coté soin», explique-t-elle. «Je ne pourrais pas recueillir des paroles aussi intimes et profondes si c’était filmé». Chaque podcast fidélise une petite communauté. «Le principe, c’est l’abonnement. Des auditrices nous disent retrouver l’excitation qu’elles ressentaient il y a quelques années quand sortait leur magazine féminin préféré en kiosque», raconte Lauren Bastide. Les podcasts féministes font figure de locomotive pour les médias qui les portent. Chez Binge Radio, «Les couilles sur la table» réalise 1/5ème du total des connexions, parmi une quarantaine de podcasts. «80% des auditeurs ont moins de 35 ans», selon son fondateur Joël Ronez: «Il n’y a pas d’offre pour cette génération dans les médias traditionnels». Lesquels sont très intéressés par ce nouveau média: le groupe Les Echos – Le Parisien vient d’entrer au capital de Binge. La radio numérique privilégie les «angles sociétaux: émancipation, empowerment, genre, race, corps», égrène Joël Ronez, ex-directeur des nouveaux médias à Radio France. «On traite des sujets que les radios n’osent pas aborder», résume l’animatrice des «Couilles sur la table» Victoire Tuaillon. Si elle a choisi de parler des «masculinités» c’est parce qu’elle en avait assez «d’entendre un seul discours sur les hommes, celui de la masculinité en crise. J’avais envie d’explorer autre chose». Au programme: «la vraie «nature» du mâle», «Cro-Magnon ce gentleman», ou encore «ce que la soumission féminine fait aux hommes». Dans l’émission de Charlotte Bienaimé «Un podcast à soi» le son est roi. La journaliste a roulé sa bosse sur France Culture («Les pieds sur terre», «A voix nue») et a rencontré le féminisme en couvrant la révolution tunisienne. Une semaine avant la tempête #MeToo, elle diffuse le 4 octobre 2017 son 1er podcast sur Arte Radio: «Sexisme ordinaire en milieu tempéré», sur le harcèlement sexuel «dans les bureaux de la Défense» chez les CSP+. Les attaques sexistes des journalistes de la «Ligue du LOL», à la fin des années 2000, ne l’étonnent pas: «C’est ce que j’entends dans les témoignages que je recueille depuis des années», dit-elle. Pour elle, la grande différence entre le podcast et la radio réside dans le lien avec les auditrices. «C’est très émouvant, beaucoup de femmes m’écrivent en disant que le podcast a changé leur vie». La galaxie des podcasts féministes fait aussi place aux paroles des femmes noires, avec notamment «Me, my sexe and I» d’Axelle Jah Njiké, et se décline par thèmes: la beauté et les représentations («Miroir, miroir») la pop culture («Quoi d’meuf?») la sexualité («Sur leurs lèvres»)…