Passionnés par leur métier mais précaires, les scénaristes de cinéma ont le blues

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Ils sont à l’origine des films, mais restent largement méconnus et leurs rémunérations ne représentent qu’une petite partie des budgets des longs métrages. Passionnés par leur métier mais précaires, les scénaristes de cinéma ont le blues. Ils vivent parfois uniquement du cinéma, parfois du cinéma et de la télévision, et passent des mois voire des années sur des films, qu’ils écrivent et réécrivent avec le réalisateur. Mais leur métier repose sur un paradoxe, qu’ils exposent dans un livre, «Scénaristes de cinéma: un auto-portrait», signé par le SCA (Scénaristes de cinéma associés, association créée en 2017): le scénario est le premier objet par lequel un film existe, qui permet d’obtenir subventions et financements, mais la part du budget consacrée à l’écriture est faible à leurs yeux, et l’insécurité du travail élevée. La situation ne s’est pas arrangée, selon eux. «On adore notre métier, mais on le fait dans des conditions qui sont de plus en plus précaires», estime Guillaume Laurant, scénariste du succès planétaire «Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain».Selon une étude publiée mardi par le CNC et la SACD, les dépenses d’écriture représentaient 4,2% du coût d’un film en 2016. Les scénaristes sont aussi souvent payés tardivement, jusqu’à un tiers de leur rémunération étant versée à la fin du travail d’écriture, qui intervient en général près de 2 ans après le début du projet. «La 1ère étape, qui est vraiment un très gros travail et qui est finalement la moins bien payée, peut durer très longtemps. Et à l’issue de cette étape, un producteur peut finalement ne pas donner suite. Pour peu que ça arrive sur 3 ou 4 projets d’affilée, c’est vraiment difficile», explique Guillaume Laurant. A cela se conjuguent des difficultés liées à leur statut: auteurs, les scénaristes n’ont pas accès à l’assurance-chômage ou aux congés payés. Si tous travaillent sur plusieurs projets à la fois, souvent 3 ou 4, nombre d’entre eux sont aussi obligés de cumuler d’autres activités. Et ce alors que des dizaines de scénarios sont payés moins de 5.000 euros, avec une situation particulièrement difficile pour les jeunes, soulignent-ils. «J’ai mis dix ans à ne vivre que de ça. Aujourd’hui, je le fais à plein temps, ce qui n’est pas du tout le cas de tous», raconte Maud Ameline, 43 ans («Camille redouble», «Amanda»). «Il y a beaucoup de ratés», poursuit-elle, soulignant aussi qu’au début, «on négocie mal les contrats, parce que c’est un métier où il y a beaucoup d’affectif». Les scénaristes souffrent aussi d’un manque de reconnaissance. Rarement mis en avant lors de la promotion des films, ils sont peu représentés dans les commissions ou les jurys, et pas toujours invités dans les festivals. Un problème «culturel», souligne Julie Peyr («Celle que vous croyez», «Les Fantômes d’Ismaël»), installée aux Etats-Unis, où les auteurs sont «très reconnus» et «toujours cités». «On est des gens assez discrets. Mais on a tous au cours de notre carrière des moments un peu étranges où un article va parler du scénario et ne jamais citer le coauteur», raconte-t-elle. Face à ces difficultés, et alors que le CNC va lancer une concertation sur leur métier, les scénaristes ne manquent pas d’idées: rémunération systématiquement indexée au budget des films, revenu minimal dans les périodes de chômage, meilleure représentation dans les jurys et commissions … Avec le boom des séries, certains se tournent aussi vers la télé. Selon l’étude SACD-CNC, 53% de ceux qui ont déclaré un film en 2014-2018 ont également déclaré une oeuvre audiovisuelle. «Il y a plus de porosité qu’il y a dix ans», constate Pierre-Yves Mora, co-créateur de la série «L’Art du crime» (France 2). «La série, c’est un peu l’eldorado du moment», renchérit Pierre Chosson («Hippocrate»), qui travaille pour le cinéma et la télévision. «Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de précarité de ce côté-là non plus».