Procès France Télécom: une sociologue raconte le «climat de peur» qui régnait en 2009-2010

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En 2009-2010, un «climat de peur» régnait chez France Télécom où de nombreux salariés craignaient d’être les prochains à être poussés au départ, a raconté mardi au tribunal la sociologue Fanny Jedlicki, qui a participé à l’époque à une vaste enquête dans l’entreprise alors en pleine crise sociale.

Mme Jedlicki a enquêté, avec trente autres experts, pour le cabinet Technologia, spécialisé dans la prévention des risques liés au travail. Nommé par la direction de France Télécom et le Comité hygiène et sécurité, ce cabinet s’est plongé dans l’entreprise entre septembre 2009 et juin 2010. Plus des deux tiers des 120.000 salariés de l’époque ont répondu au questionnaire. Il y a eu en outre «un très grand nombre d’appels téléphoniques» de la part d’employés, et des salariés tirés au sort ont été interviewés.

«C’est une enquête hors norme qui a donné l’occasion à un nombre inégalé de salariés d’exprimer une souffrance rarement atteinte», a résumé la sociologue. Elle a elle-même interviewé 83 personnes travaillant dans 15 villes différentes, dans les fonctions support et la vente aux particuliers. Elle a décrit «une libération de la parole des salariés» face à une direction «dans le déni» alors que les suicides de salariés se multipliaient. Fanny Jedlicki et ses collègues ont rencontré «des salariés en souffrance aiguë, qui reliaient cette souffrance à leurs conditions de travail et parfois à certains responsables ici présents», a-t-elle expliqué à la barre, devant les prévenus. France Télécom, devenue Orange en 2013, et ses ex-dirigeants sont jugés depuis le 6 mai pour «harcèlement moral». «L’objectif coûte que coûte du départ de 22.000 personnes a instauré un climat de peur, celle d’être le prochain», a-t-elle expliqué, parlant du travail qui, à France Télécom, a rendu «malade certains salariés».

Les employés ont fait remonter «des pratiques extrêmes», dont «l’humiliation» qui s’abattait contre certains, mis au placard ou mis à l’écart. Sur les 83 personnes que Fanny Jedlicki a interrogées, «un tiers souffrait de profonde anxiété» et «quelques-uns étaient en grande détresse». «L’ensemble des entretiens ont fait apparaître des situations répétées, qui ont permis de repérer une situation collective», a expliqué la sociologue. Celle-ci s’est traduite «par une anxiété, une mise en cause de soi-même, et a amené certains salariés à ne pas se sentir à la hauteur jusqu’à s’en rendre malade».

Au début du procès, Jean-Claude Delgenes, directeur de Technologia, avait également témoigné, soulignant qu’il fallait que «ce procès soit un rempart contre l’oubli» car «rien ne peut jamais justifier que l’on meure au travail».