Starlink, bouée de sauvetage reliant le pays en guerre au reste du monde

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Dans une petite cour du bourg de Tamboul, une cinquantaine de Soudanais téléphonent ou tapotent fébrilement leurs appareils. Au milieu d’eux, une antenne Starlink, la dernière bouée de sauvetage reliant le pays en guerre au reste du monde. Issam Ahmed veut absolument entrer en contact avec son fils émigré. Il veut de ses nouvelles, mais compte aussi sur son soutien – qu’il ne peut recevoir qu’en ligne. «Mon fils travaille en Arabie saoudite, il m’a envoyé de l’argent grâce à l’application de la banque et je viens de le transférer à un changeur, il va me donner du liquide et je pourrai aller acheter ce dont j’ai besoin», dit-il. Le 15 avril 2023, la guerre a éclaté entre l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires du général Mohammed Hamdane Daglo, ancien numéro deux du pouvoir militaire. Aussitôt, la plupart des banques ont fermé et la plupart des travailleurs se sont retrouvés sans salaire. Livrés à eux-mêmes, les Soudanais ont dû faire preuve d’inventivité. Toutes les transactions passent désormais, à l’intérieur du Soudan ou à l’étranger – via des intermédiaires propriétaires de comptes soudanais -, par l’appli de transfert en ligne de la Bank of Khartoum, Bankak, qui permet de recevoir des virements, de faire des achats ou d’obtenir des espèces contre un virement. Mais après 11 mois de combats, des milliers de morts, 8,5 millions de déplacés et des infrastructures réduites à néant, ce dernier filet de sécurité a sauté début février: les télécommunications ont subitement disparu dans plusieurs Etats du pays. Pour retrouver accès à Bankak, de nombreux Soudanais ont décidé de se tourner vers la connectivité spatiale et le réseau de satellites itinérants Starlink du milliardaire américain Elon Musk. Arij Ahmed parcourt régulièrement à pied avec son fils de 12 ans les 5 kilomètres la séparant de de son cyber-café satellitaire. «Chaque semaine, quand mon mari qui travaille au Qatar reçoit sa paye, il nous fait un virement pour acheter ce dont nous avons besoin», raconte cette Soudanaise de 43 ans. Mais à chaque fois, il faut mettre la main à la poche: une heure de connexion coûte près de 3 dollars, une somme rondelette au Soudan, l’un des plus pauvres au monde. S’y ajoute souvent la commission prélevée par les changeurs qui transforment un virement Bankak en liquide. Dans la vaste région occidentale du Darfour, où un quart des 48 millions de Soudanais vivent quasi-coupés du monde depuis le début du conflit, Mohammed Bechara parvient à envoyer un message toutes les deux semaines à son fils en Libye. Dans son camp de déplacés d’Otach, au Darfour-Sud, une antenne Starlink est apparue et, écrit-il par message en ligne envoyé via cette connexion. «Sans elle nous n’aurions jamais trouvé comment recevoir de l’argent». Officiellement, en décembre, le gouvernement loyal à l’armée a interdit la commercialisation et l’utilisation de ce réseau au Soudan. Mais au Darfour, où les paramilitaires ont pris l’avantage militaire, le service de la société SpaceX s’est répandu comme une traînée de poudre. «Les antennes entrent illégalement via la Libye, le Soudan du Sud et l’Erythrée», affirme un revendeur sous le couvert de l’anonymat. Pour une antenne, il faut compter environ 1.500 dollars soit plus de 4 fois le salaire d’un fonctionnaire au Soudan. Mais, assure Mohammed Bellah, qui gère un cyber-café, «en trois jours on se rembourse». Un business juteux qui a évidemment attiré les paramilitaires du général Daglo qui sèment la terreur entre racket et pillages selon des habitants. Dans le village de Qanab el-Helwin, au bord du Nil Bleu, ce sont eux qui chaque matin «installent leur antenne sur la place et repartent le soir avec tout l’argent récolté auprès des clients», témoigne un habitant qui préfère taire son nom. Dans un autre village, ils rançonnent le cyber-café: «ils me prennent chaque jour 150.000 livres soudanaises», soit environ 140 dollars, raconte son propriétaire.