Un destin incroyable pour «Fariña», qui sort jeudi en France aux éditions «Le Cherche midi»

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En 2015, le journaliste Nacho Carretero faisait sensation en Espagne avec son livre «Fariña» sur le trafic de cocaïne en Galice dans les années 1990. Sept ans plus tard, «les narcotrafiquants sont toujours là et encore plus puissants qu’avant», assure cet auteur. Des bateaux lancés dans des «go fast» en mer, des Ferrari rutilantes et des narcotrafiquants colombiens: bienvenue dans l’univers impitoyable mais pourtant bien réel de «Fariña», qui sort jeudi en France aux éditions «Le Cherche midi». Présenté comme le «Gomorra» espagnol, le livre, traduit dans une dizaine de langues dont l’anglais, le polonais ou le bulgare, a connu un destin incroyable grâce à une décision judiciaire. 2018: alors qu’il s’écoule paisiblement depuis sa sortie en 2015, le livre doit cesser d’être commercialisé. La raison ? Un homme mis en cause dans l’ouvrage attaque son auteur et la petite maison qui l’édite pour «injures et calomnies». En attendant de répondre sur le fond de la plainte, le livre doit être retiré des rayons. «Fariña» devient un sujet politique et médiatique. La controverse est telle que le livre s’achète même sous le manteau sur les réseaux sociaux. «Ça nous a fait une pub incroyable», reconnait son auteur. La justice déboutera le plaignant et réautorisera la sortie du livre… 5 mois après avoir prononcé l’interdiction de sa commercialisation. Dans la foulée, la grande chaîne privée «Antena 3» annonce qu’elle achète les droits pour en faire une série, qui intègrera le catalogue du géant Netflix, ainsi que celui d’Amazon Prime Video. «Fariña» devient un phénomène global. Originaire de la Galice – région frontalière du Portugal située à l’extrême nord-ouest du pays – Nacho Carretero, 41 ans, n’a jamais ignoré le passé de sa région. «Mais en grandissant, je me suis toujours dit que c’était étrange qu’il n’existe pas de récits, films ou séries sur ce sujet», explique-t-il. C’est ainsi qu’est né le livre: un récit fouillé et empreint d’anecdotes, qui se lit comme un roman. Si les Espagnols connaissent par épisodes judiciaires et faits divers ponctuels le passé de cette région, beaucoup ont découvert l’ampleur du problème avec le livre. Sondant trafiquants repentis, policiers ou juges, Nacho Carretero expose une «culture de la contrebande» initiée dès l’après-guerre civile (1936-1939) avec la ferraille et qui s’est poursuivie dans les années 1960 avec les cigarettes, avant de culminer, avec le trafic de stupéfiants, pouvant générer d’encore plus gros profits. A son zénith, dans les années 1990, 80% de la poudre blanche consommée en Europe provenait des ports de Galice, rappelle-t-il. Et d’insister sur le fait que malgré l’action (tardive) de l’Etat espagnol – d’abord mobilisé au Pays basque sur le dossier ETA – la Galice et l’Espagne restent une des plaques tournantes de la drogue en Europe. «Aujourd’hui, les narcotrafiquants sont moins connus, font profile bas, mais sont plus dangereux et plus puissants qu’avant», souligne-t-il. «Beaucoup de gens en Espagne et en Europe croient que le trafic de drogue appartient au passé mais, la réalité, c’est qu’il n y a jamais eu autant de cocaïne en circulation en Europe».Au-delà de la Galice, «l’Espagne fait face à un vrai problème de crime organisé, notamment sur la Costa del Sol (sud du pays), où convergent toutes les mafias d’Europe et l’Etat espagnol n’a pas les moyens financiers pour le combattre», insiste l’auteur. Des sujets qu’il continue d’explorer avec sa boîte de production. Reste une lueur d’espoir: même au plus fort de l’emprise des «capos» sur la Galice, la région ne s’est jamais transformée en petite Sicile. «L’Etat a su réagir à temps, empêchant les narcotrafiquants d’entrer dans les institutions», décrypte-t-il.