Youtubeur, profession à haut risque au Rwanda

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Être youtubeur au Rwanda n’a rien de glamour, prévient d’emblée John Williams Ntwali: les revenus sont faibles, les menaces fréquentes et le risque de finir en prison une réalité.Mais aujourd’hui, le fondateur de la chaîne Pax TV craint avant tout que l’espace de liberté d’expression créé par YouTube dans ce pays autoritaire ne cède du terrain face à l’offensive du gouvernement. «Ça se resserre», lâche John Williams Ntwali. «On tend vers la fermeture des chaînes YouTube, pas en fermant YouTube ou internet mais en emprisonnant ceux qui travaillent sur YouTube», ajoute ce journaliste d’une quarantaine d’années. Sur le site de partage de vidéos, ceux qui discutent sports, beauté ou loisirs, ne sont pas inquiétés, raconte-t-il, mais les jeunes gens qui traitent de politique et d’actualité «encourent beaucoup de risques». Contrairement à beaucoup de youtubeurs sur la planète, «Ntwali», comme beaucoup l’appellent, montre rarement son visage et reste avare de détails sur sa vie privée. Pax TV, qui compte environ 15.000 abonnés et 1,5 million de vues après un an d’existence, diffuse majoritairement des interviews, en langue kinyarwanda, de voix dissidentes. Une de ses vidéos les plus populaires tend le micro à Adeline Rwigara, veuve d’un homme d’affaires décédé dans des circonstances controversées, qui dénonce un «harcèlement» de sa famille. «Nous voulons parler à tout citoyen. Nous faisons un journalisme d’investigation mais nous le faisons pour faire du plaidoyer en droits humains, justice, politique», affirme Ntwali. «C’est de la passion. C’est du dévouement. On vit en espérant qu’un jour ça puisse s’améliorer». Depuis la fin du génocide, qui en 1994 a fait au moins 800.000 morts principalement Tutsi, le Rwanda est dirigé d’une main de fer par Paul Kagame. Loué pour les succès de sa politique de développement, le président est également critiqué par les groupes de défense des droits humains pour sa répression de la liberté d’expression. Le pays est classé au 156e rang sur 180 pays pour la liberté de la presse par Reporters Sans Frontières (RSF). Ces dix dernières années, les médias indépendants se sont raréfiés, bloqués par le pouvoir. La popularité de YouTube a grandi, et s’est renforcée lorsque le Covid-19 et les confinements ont enfermé chez eux les habitants de Kigali, formant l’essentiel de l’audience. Le régime, qui jusqu’ici contrôlait avec fermeté l’espace public, «a été pris par surprise» par cette nouvelle caisse de résonance, affirme un analyste politique rwandais. Car «vous ne pouvez pas contrôler YouTube», pointe-t-il. Ces vidéos, «ça reste, ça se partage», ajoute Ntwali, ancien rédacteur en chef du site Ireme News, aujourd’hui fermé, soulignant que les commentaires sont «l’autre section qui fait mal au pouvoir». Le journaliste ajoute qu’attaquer directement YouTube risquerait de froisser sa maison-mère, Google, qui pourrait en retour bloquer l’accès à ses autres services, comme Gmail ou Maps, très utiles dans un pays qui veut attirer touristes et hommes d’affaires. L’année 2021 a été marquée par plusieurs arrestations de youtubeurs vedettes, qualifiées de «persécutions» par RSF. Mi-novembre, Dieudonné Niyonsenga, dit Cyuma («fer» en kinyarwanda), a ainsi été condamné à 7 ans de prison, notamment pour faux et usurpation d’identité. D’un côté, la police rwandaise (RIB) dénonce des commentateurs qui cherchent à «saper la sécurité nationale» ou à «semer la division parmi les Rwandais». De l’autre, Human Rights Watch estime que les entraves à la liberté d’expression et sa criminalisation dans la loi rwandaise «offrent de nombreuses possibilités de poursuites abusives» des youtubeurs. Alors que 2021 s’achève, la bulle de liberté d’expression qui avait émergée sur YouTube s’est largement réduite et Ntwali apparaît comme une des dernières figures encore en activité. Mais l’arrestation viendra, prédit-il. «C’est inévitable (…) quand vous êtes journaliste indépendant, au vrai sens du terme, vous êtes candidat à la prison».