Chine: entre politique et économie, la téléréalité chinoise cherche sa voix

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    Comme des milliers de jeunes Chinois, Zhou Dong, employé d’une agence de voyages, cultive l’espoir de participer à la prochaine grande émission de téléréalité, un phénomène de mode que le régime communiste, soucieux d’ordre moral, souhaite recadrer. «J’adore chanter et je veux juste avoir la chance de pouvoir faire entendre à tout le monde l’amour pour mes parents», dit le policé Zhou Dong, 26 ans. Dans un café de Changsha, au sud de la Chine, il s’essaie, tant bien que mal, à entonner des ballades chinoises sirupeuses, frustré de ne pouvoir atteindre l’aigu. Il se prépare pour les épreuves de sélection de «Happy Boy», la prochaine grande émission de concours de chant, inspiré de l’émission américaine «American Idol», produite par la télévision provinciale, Hunan Satellite TV. Il y a trois ans, cette dernière avait remporté le gros lot en lançant, pour la première fois en Chine, ce genre de programmes, avec l’émission «Supergirl». Mais, cette année, à quelques mois du XVIIe Congrès du Parti communiste, le régime veille au grain et ne veut surtout pas de débordements. La semaine dernière, la censure a édicté une dizaine de restrictions pour «Happy Boy», qui doit être diffusé de mai à juillet, recommandant notamment aux candidats de «ne pas rechercher l’extravagance et l’originalité» et leur réclamant des «chansons saines et inspirées par l’éthique». L’émission, dont les procédures de sélection au niveau national ont été lancées samedi dernier, devra avoir de la tenue, ne pas verser dans les cris ou les larmes et «les animateurs de l’émission devront guider les candidats pour qu’ils y participent de façon simple et élégante», ont indiqué les censeurs. En début d’année, Wang Taihua, ministre chargé de l’Administration d’Etat de la radio du cinéma et de la télévision, avait annoncé son intention de renforcer les contrôles pour «purifier les écrans». Il avait précisé que les programmes télévisés devaient davantage refléter les objectifs du régime communiste visant à l’établissement d’une «société harmonieuse», qui met l’accent sur la justice sociale et le respect de l’environnement. «Le gouvernement s’inquiète de ce que ce genre de programmes détruise l’idéologie dominante du Parti», juge Zhu Dake, professeur de civilisation chinoise à l’Université Tongji de Shanghai. «Aujourd’hui, la culture du divertissement est à double tranchant: elle apporte des gains économiques mais peut aussi conduire au déclin des valeurs culturelles raffinées», dit-il. Depuis «Supergirl» en 2005, les télévisions chinoises ont sauté sur le filon et plus de 500 programmes de ce genre ont été diffusés. L’année dernière, la finale de «Supergirl» avait attiré une audience de 400 millions de téléspectateurs, l’une des plus fortes de l’histoire de la télévision chinoise. Selon les médias chinois, Hunan TV se trouvait dans le collimateur de Pékin, qui était sur le point de lui interdire tout nouveau programme, et il a fallu que le numéro du Parti du Hunan se déplace en personne à la capitale pour plaider la cause de la télévision, soulignant les enjeux financiers du dossier. «Interdire complètement ces programmes serait innoportun. Les médias, la sociétés et le monde des affaires en ont besoin. Le divertissement et les affaires ne font qu’un en Chine désormais», souligne Ma Xiangwu, un expert en questions culturelles à l’Université du Peuple à Pékin.Zhou Dong, lui, se dit étranger à tout ce tumulte. «Je ne veux pas devenir une star. C’est juste pour m’amuser et c’est une expérience personnelle intéressante. Les jeunes Chinois veulent seulement pouvoir s’exprimer», dit-il.