Anticor signale à la justice des soupçons de prise illégale d’intérêts liés au recrutement d’une ancienne cadre à l’AMF

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L’association Anticor a annoncé mardi avoir signalé à la justice des soupçons de prise illégale d’intérêts liés au recrutement d’une ancienne cadre à l’Autorité des marchés financiers (AMF) par Binance, un mois avant l’enregistrement de la plateforme de cryptomonnaies comme prestataire.

Dans ce signalement, adressé le 8 décembre au Parquet national financier (PNF), Anticor souligne que la directrice juridique adjointe a quitté son poste à l’AMF en avril 2022 «pour rejoindre Binance en tant que directrice juridique puis directrice générale».

Le 4 mai 2022, Binance France SAS était enregistrée en tant que prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) auprès de l’AMF. Avec ce statut, Binance, considérée comme la première plateforme mondiale d’échanges de cryptoactifs, était autorisée à conserver des actifs numériques et à communiquer et promouvoir ses services. Pour accorder cet enregistrement, l’AMF devait vérifier un certain nombre d’éléments fournis par Binance lors du dépôt de son dossier en décembre 2020. Parmi les garanties exigées figuraient «des éléments relatifs aux dirigeants et à leur honorabilité» ou «au dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme», est-il rappelé dans le signalement. Mais Anticor doute de la réalité de ces vérifications, rappelant que le Trésor américain avait enclenché dès 2018 une enquête sur les activités du groupe aux Etats-Unis. Dans cette enquête, l’ancien patron de Binance Changpeng Zhao a accepté en novembre de plaider coupable de violation des lois américaines contre le blanchiment.

L’entreprise a consenti à payer plus de 4 milliards de dollars d’amende pour les mêmes faits au Trésor américain. L’association demande une enquête sur le transfert de l’AMF à Binance de la haute fonctionnaire, ancienne magistrate à la Cour des comptes, qui «semble revêtir la qualification de prise illégale d’intérêts».

Ce «pantouflage» illustre, selon l’avocat de l’association, Me Jean-Baptiste Soufron, «l’absence de conscience des risques de conflits d’intérêts en cas d’aller et retour entre le public et le privé en France», des situations qui «heurtent à la fois le droit et le bon sens». Selon Me Soufron, «on est dans deux mondes qui s’estiment parfois au-dessus des lois, celui de la finance d’un côté et celui des technologies de l’autre».

Binance est par ailleurs visée depuis février 2022 par une enquête du parquet de Paris pour avoir démarché des clients sans autorisation et manqué à ses obligations de contrôle des fonds de ses clients. La députée européenne Place publique Aurore Lalucq, qui avait alerté dès juin 2022 sur les risques de ce transfert et qui milite pour une régulation du secteur, s’est dite «très satisfaite» de ce signalement. Depuis «deux ans et demi, je m’interroge sur les liens entre les autorités françaises et Binance, qui a eu un enregistrement en France alors que la plupart des autres pays le refusait», notamment en raison de l’enquête américaine, a-t-elle souligné. «On s’interroge sur un possible scandale d’Etat», a ajouté l’eurodéputée.