Le cinéma mexicain au firmament

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S’agit-il d’une nouvelle vague ? Depuis quelques années, les réalisateurs mexicains raflent les prix les plus prestigieux du cinéma mondial, et derrière eux, la production mexicaine s’emballe. Avec les 2 Oscars remportés dimanche par Alejandro Iñarritu (meilleur réalisateur), le 2ème d’affilée, et Emmanuel Lubezki (meilleure photographie), son 3ème consécutif, le palmarès du cinéma mexicain de ces 5 dernières années est impressionnant: 9 Oscars, 4 Golden Globes, 3 prix à Cannes, un Lion d’Or à Venise, 2 prix à Berlin, etc. Si cette prodigieuse récolte est surtout le fait d’un petit groupe de réalisateurs et producteurs talentueux, en particulier Alejandro Iñarritu et Alfonso Cuaron, ils ne sont pas les seuls à faire briller le cinéma mexicain. «Plutôt que d’une nouvelle vague, il faudrait parler de plusieurs vagues», estime Jean-Christophe Berjon, critique et ancien sélectionneur pour le Festival de Cannes, installé à Mexico. «Plusieurs familles coexistent et se stimulent mutuellement». La famille Iñarritu est aussi celle de Cuaron et de Guillermo Del Toro, tous 3 parvenus à conquérir Hollywood en quelques années. «Il y a une relation spéciale entre eux, un échange très stimulant», indique Daniela Michel, directrice et cofondatrice du festival de cinéma de Morelia, qui les a vus démarrer. Ils ont même créé leur propre société, Cha Cha Cha films, en 2009. Derrière cette génération Iñarritu, installée aux Etats-Unis et actuellement au firmament, une nouvelle vague se profile avec notamment Amat Escalante et Michel Franco, tous 2 déjà primés à Cannes. La «movida» mexicaine fascine jusqu’à certaines étoiles hollywoodiennes tel l’acteur fétiche de Quentin Tarantino, le Britannique Tim Roth («Pulp Fiction», «Reservoir Dogs») apparu récemment dans deux films mexicains, «600 miles» de Gabriel Ripstein et «Chronic» de Franco. «Ce qui se passe ici est incroyable. (…) On sent qu’il y a ici une nouvelle énergie, une sorte de mouvement de cinéma réaliste», déclarait en octobre dernier Roth lors de son passage au Mexique.En dix ans, la production mexicaine a explosé. En 2000, l’année du premier film d’Iñarritu («Amours chiennes»), le pays produisait environ 10 films par an. Il en est maintenant à 120 par an. Cette croissance spectaculaire s’explique par la mise en place d’un système de déduction fiscale incitatif, qui pousse les entreprises à investir dans le cinéma.

Après une période d’or entre les années trente jusqu’à la fin des années cinquante, avec des réalisateurs célèbres tels Luis Buñuel, le cinéma mexicain avait pourtant failli disparaître, usé par des décennies de mauvaises comédies qui avaient fini par lasser le public. Dans les années 90, il ne se tournait quasiment plus aucun film au Mexique. «C’est le court-métrage qui a maintenu vivant le cinéma mexicain durant ces années», explique Daniela Michel, dont le festival de cinéma de Morelia est devenu en 13 ans l’un des plus importants d’Amérique latine. Paradoxalement, si la production a décuplé, la visibilité du cinéma mexicain reste marginale sur son territoire. Pas facile de voir un film mexicain dans les nombreux complexes cinématographiques du pays qui proposent des blockbusters américains. «Seuls un tiers des films produits sortent en salle», souligne Berjon. Et si des réalisateurs primés à Cannes, tels Carlos Reygadas, Escalante ou Franco, ont acquis une certaine notoriété en Europe, ils sont peu connus dans leur pays, faute de diffusion. Mais pour défendre son cinéma, la marge de manoeuvre du Mexique est étroite. En vertu de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena), il ne peut aider la production nationale ou sa diffusion en salles sous peine d’être accusé de fausser la libre concurrence. Impossible également de prélever une somme sur chaque billet pour alimenter un fonds de soutien à la production, comme il en existe en France.