Compter les interventions des éditorialistes «les plus engagés», une idée mort-née ?

283

Faut-il compter les interventions des éditorialistes «les plus engagés» dans le temps de parole des politiques? L’idée lancée par un proche d’Emmanuel Macron, qui vise la star de CNews Eric Zemmour, nécessiterait une réforme des pouvoirs du CSA, difficile à appliquer, comme l’a souligné le régulateur. Alors que l’éditorialiste vedette de l’émission «Face à l’info» sur CNews a dopé l’audience de la chaîne d’info, qui dépasse désormais certains jours sa grande rivale BFMTV, et que certains, à la droite de la droite, rêvent qu’il se jette dans la course à la présidence de la République, l’eurodéputé LREM Stéphane Séjourné a jeté mercredi un pavé dans la mare. «Il faut préciser l’arsenal réglementaire et législatif pour aider l’audiovisuel à respecter la pluralité des opinions. Et donc, par exemple, compter dans le temps de parole des politiques les éditorialistes les plus engagés. Je pense notamment à Eric Zemmour», a-t-il plaidé dans les colonnes du quotidien «L’Opinion». «Il évolue aujourd’hui dans une zone grise», a considéré le conseiller du chef de l’Etat, en déplorant que la «parole politique (de M. Zemmour) ne soit comptée nulle part». Mais la loi de 1986 sur l’audiovisuel, qui définit les pouvoirs du CSA et lui donne pour mission de s’assurer du respect du pluralisme à la télévision et à la radio, précise que les calculs des temps de parole ne s’appliquent qu’aux interventions «des personnalités politiques». C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé jeudi le président du régulateur, Roch-Olivier Maistre, qui a souligné en outre la difficulté qu’il y aurait à changer ces règles. «Notre feuille de route, c’est la loi, et elle est très claire (…). Rien dans la loi aujourd’hui ne nous amènera à comptabiliser le temps de parole des éditorialistes, qui, je le rappelle, sont souvent des journalistes, et donc techniquement c’est très complexe à mettre en oeuvre au regard de la liberté d’expression et de la liberté éditoriale des chaînes», a-t-il souligné au micro d’Europe 1. Car cela poserait des casse-têtes multiples, a estimé pour sa part Nicolas Beytout, éditorialiste de la station et fondateur de «L’Opinion». «Premier problème: qui va décider qu’un journaliste est «plus ou moins» engagé? 2ème problème: à partir de quand l’interdire de parole?», a-t-il lancé, en pourfendant une «police de la pensée» totalement «hors d’âge». Et si la montée en puissance de CNews suscite «une vraie inquiétude au sommet du pouvoir», Nicolas Beytout avance que «certaines antennes sont ouvertement militantes (mais de gauche)» sans que cela ne dérange l’exécutif. «C’est invraisemblable et inextricable: qu’est ce qu’un éditorialiste engagé, pas engagé ?», s’interroge le spécialiste en communication politique et historien des médias, Christian Delporte. Et si les éditorialistes, notamment dans la presse écrite, ont eu de longue date une «place surdimensionnée au sein du journalisme français par rapport aux pays anglo-saxons», il rappelle que «chacun est libre de regarder ou pas CNews» ou tout autre média. Au-delà de la question des éditorialistes, les règles du pluralisme à la télévision sont par ailleurs régulièrement critiquées, mais principalement par des partis d’opposition qui les jugent trop favorables à l’exécutif. Hors élections, où des principes plus stricts s’appliquent, les règles accordent à l’exécutif (à savoir les membres du gouvernement, le président de la République et ses collaborateurs) un tiers du temps de parole total. Le reste doit être réparti par les chaînes entre l’ensemble des formations politiques, en fonction globalement de leur représentativité. En 2019, avant les élections européennes, le CSA, saisi par LR, LFI, le PS et le RN, avait précisé que les chaînes devaient bien inclure dans le temps de parole de l’exécutif les interventions du président dans le cadre du «grand débat national».