Coronavirus: le passeur de mémoire et biographe Jérôme Lucas crée une chaîne YouTube pour les anciens

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Depuis des années, il recueille les souvenirs de personnes âgées. Touché par leur solitude accrue en cette période de confinement, Jérôme Lucas a décidé de «leur restituer» un peu de ce qu’elles lui ont donné en créant une chaîne YouTube juste pour eux.

«Quand j’ai appris qu’on était confinés, que les anciens n’allaient plus pouvoir recevoir de visites et qu’il n’y aurait plus d’intervenants extérieurs dans les Ehpad, je me suis dit: «m’adresser à eux, c’est un peu leur restituer tout ce qu’ils m’ont donné». D’autant que, confiné moi-même, je ne peux plus aller collecter leur parole comme je le faisais habituellement», explique ce passeur de mémoire et biographe, installé dans les Côtes d’Armor.

Variés, les thèmes abordés dans les vidéos s’appuient sur le collectage effectué au fil des années auprès des «anciens»: un célèbre musicien de la région qui animait les bals musette sous l’Occupation, le braconnage tel qu’il se pratiquait encore de façon courante il y a quelques dizaines d’années, les jeteurs de sort, l’électrification de la Bretagne au début du XXe siècle … Mettant à profit la présence forcée à la maison de ses deux filles étudiantes, plus à l’aise que lui avec le numérique, il réalise ces films avec les moyens du bord. «J’essaie de faire quelque chose de vivant. Je me mets un peu en scène, parfois je crée un personnage à qui il peut arriver plein d’aventures», poursuit le quinquagénaire qui fréquente de longue date les milieux du théâtre amateur. Avec chaque vidéo, il suggère des questions que le personnel des Ehpad peut utiliser «pour animer un échange avec les anciens, une «causerie», comme on dit ici (…) ça permet aux animateurs d’avoir un outil clé en mains». Il propose même d’animer lui-même, bénévolement, des débats en visioconférence.

Pour la diffusion, Jérôme Lucas s’appuie sur les Ehpad. «En dehors des bureaux de l’administration, il y a des Ehpad qui n’ont pas d’accès à internet pour leurs résidents. Dans ce cas, le film est téléchargé sur un ordinateur et des membres du personnel le font ensuite circuler de chambre en chambre. Dans d’autres établissements, il y a un canal interne commun et c’est plus facile. En fait, c’est à chaque structure de s’organiser pour faire voir l’épisode», poursuit le créateur, dont l’initiative, «vos récits», vient d’être répertoriée sur le site du groupement national des animateurs en gérontologie. Et «ça commence à marcher. La première vidéo a été mise en ligne il y a une quinzaine de jours. Ce sont de petits films de 3 à 10 minutes. Chacune a été vue pour le moment entre 200 et 300 fois», se réjouit-il.

«Je vois que les gens apprécient. ils ont tellement peu l’habitude qu’on s’intéresse à eux, à ce qu’ils ont pu vivre». Toutes ces personnes, «mine de rien, je vis de leur mémoire», dit celui qui, depuis 2009, après des heures d’écoute attentive, rédige et édite biographies, récits de famille, histoires d’entreprises ou de communes.

«Cela me paraît assez logique de le leur rendre, de les remercier, au moins symboliquement, même si certains d’entre eux ne sont plus là». «Je vais continuer jusqu’à la fin du confinement. C’est ma façon aussi d’apporter mon soutien aux soignants dans les Ehpad qui donnent beaucoup aussi», salue-t-il.