François JOST, Sémiologue des médias

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L’attentat contre «Charlie Hebdo» a stupéfié les médias en France. Radios, TV, sites web ou quotidiens étaient sur le qui-vive pour couvrir l’événement. Afin d’analyser l’aspect médiatique de l’affaire, média+ s’est entretenu avec François JOST, Sémiologue des médias.

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L’affaire «Charlie Hebdo» et le suivi en temps réel de la traque des terroristes a permis aux chaînes d’infos ainsi qu’aux chaînes historiques de réaliser des records d’audiences. En quoi ces événements fascinent-ils autant le public ? 

François JOST

Le fait divers a toujours fasciné car il touche à la mort, à notre sécurité et donc à notre vie. Le fait que nous ayons accès aujourd’hui aux informations en continu changent la donne. Nous sommes beaucoup plus dans «l’attente continuelle» que dans «l’explication». Par le biais de la télévision ou de la radio en direct, nous avons très fortement conscience du temps qui passe et qui mène ainsi à l’idée que le temps va nous amener vers le dénouement. La fascination est d’autant plus forte que personne ne sait comment ces événements vont finir. Le traitement médiatique coïncide ainsi avec le temps de l’événement. D’autre part, même si cela peut paraître un peu choquant, l’aspect «récit» est fondamental. Depuis toujours, petits ou grands, quelles que soient nos religions, les récits fascinent. Or, avec les différents événements tragiques de ces derniers jours, nous savons que ce n’est pas un scénario. Une fois encore, personne ne connaissait la fin. Et comme dans tous les récits, il y a eu des rebondissements. A ce titre, la double prise d’otages vendredi dernier est une chose à laquelle personne ne s’attendait. Ces événements malheureux ont relancé «l’action». Il y a chez le public une curiosité qui se mêle à l’impatience. En restant accroché aux médias, le spectateur a l’impression que les situations vont s’accélérer et que le temps va se compresser.

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Entre les éditions spéciales, les flashs de dernière minute et le suivi en temps réel de l’affaire, les médias en font-ils trop ? En disent-ils trop ?

François JOST

Oui, les médias en disent peut-être trop concernant l’enquête. On pouvait très bien s’imaginer que les terroristes suivaient les médias. Je suis assez choqué que tous ces experts, anciens du GIGN et policiers, aient expliqué comment fonctionnait la police, quels étaient leurs plans et stratégies … Les médias font comme si les assassins n’avaient pas eux-mêmes accès aux médias, donc à ces informations, ce qui paraît invraisemblable. Ce qui m’étonne aussi, c’est la naïveté de certains médias qui pensent que toutes les informations qu’on leur donne sont vraies.

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Avons-nous basculé dans ce que l’on appelle «l’info spectacle» ?

François JOST

Bien sûr ! On se retrouve dans son canapé à regarder les hélicoptères qui tournent, les témoignages qui se multiplient et les assauts en direct. Nous sommes évidemment dans une sorte de spectacle auquel parfois on ne comprend pas grand chose, y compris les journalistes. Dans la nuit de mercredi lorsque l’on voyait sur BFMTV, par exemple, des images du GIGN en place à Reims, on ne comprenait pas très bien la construction de l’espace, ni ce que visaient les forces de l’ordre. Nous sommes dans le concept de la «pulsion scopique», autrement dit dans l’envie de voir, de connaître. Mais il y a des moments où l’image ne nous apprend absolument rien mais le public reste fasciné par ce déploiement de policers, de professionnels cagoulés. Ces images sont chargées d’imaginaire.