Justine Triet, la nouvelle gloire du cinéma français

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Et encore une récompense pour Justine Triet. La nouvelle gloire du cinéma français a remporté dimanche l’Oscar du meilleur scénario original pour «Anatomie d’une chute», un film qui l’aura définitivement faite exploser sur la scène hexagonale et internationale. Palme d’Or, deux Golden Globes, six Césars, dont celui de la meilleure réalisatrice: son thriller judiciaire sur la dégringolade d’un couple d’artistes dysfonctionnels, où une écrivaine se retrouve accusée du meurtre de son mari, avait déjà raflé pléthore d’honneurs. La cinéaste de 45 ans partage son Oscar avec son compagnon Arthur Harari, avec qui elle a écrit le script pendant la pandémie. «Je pense que ça m’aidera à traverser ma crise de la quarantaine», a lancé la réalisatrice en arrivant sur scène, essoufflée, pour récupérer l’Oscar avec son compagnon Arthur Harari. Avec ses trésors d’ambiguïté et sa réflexion abrupte sur le coût de la vie en couple, son 4ème long-métrage lui a permis de concurrencer Christopher Nolan et Martin Scorsese pour l’Oscar de la meilleure réalisation. Une consécration obtenue grâce à un cinéma d’auteur exigeant, pur produit d’une exception culturelle française qu’elle défend ardemment contre la volonté de vouloir rendre l’art rentable. Sa diatribe au festival de Cannes pour défendre le modèle hexagonal de financement du cinéma, face à un pouvoir accusé de vouloir «casser» ce système, a d’abord vexé le gouvernement. Mais la hache de guerre a depuis été enterrée sous une montagne de récompenses. Resté muet lors de la palme d’Or, le président français Emmanuel Macron a finalement fait part de sa «fierté» après les 2 Golden Globes décrochés par «Anatomie d’une chute» en janvier. Volubile, la réalisatrice cache sous son flot de paroles une nature angoissée. Son cinéma très calculé brosse inlassablement le portrait de femmes dont les vies intime et professionnelle se télescopent. Un point commun que cette mère de 2 enfants, en couple avec un autre cinéaste, partage avec ses personnages. «Je n’ai pas attendu #MeToo pour que la personne qui vit avec moi travaille presque plus que moi avec les enfants à la maison», soulignait-t-elle avant Cannes. Ses héroïnes ont à peu près son âge et affrontent chacune le désordre de l’existence. «Anatomie d’une chute» est ainsi marqué par une dispute d’anthologie entre Sandra, romancière de renom, et son mari émasculé par son succès. Une performance qui vaut à Sandra Hüller d’être nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice. Dans «Sibyl» (2019) et «Victoria» (2016), la cinéaste employait son amie Virginie Efira, tantôt comme psychanalyste fascinée par une de ses patientes au point d’en oublier l’éthique, tantôt comme avocate pénaliste et mère célibataire en pleine crise de nerfs. Son 1er long-métrage, «La Bataille de Solférino» (2013), mettait en scène une journaliste de télévision qui se déchire avec son ex pour la garde de ses filles. Au départ pourtant, le cinéma n’attirait pas particulièrement Justine Triet. Née à Fécamp (Seine-Maritime) en 1978, elle grandit à Paris avec une mère ballotée entre plusieurs métiers et un père souvent absent. La famille passe toutes ses vacances dans une communauté bouddhiste. A 20 ans, elle entre aux Beaux-Arts avec l’ambition de devenir peintre, mais y découvre la vidéo et le montage. C’est de là qu’elle bifurque vers le 7ème art. Elle réalise d’abord des documentaires à la veine sociale, notamment un court-métrage sur les manifestations étudiantes de 2007 contre le Contrat 1ère embauche (CPE). Sur les plateaux, cette cinéaste a la réputation de s’être entourée d’une tribu dont elle écoute les opinions pour créer. «Justine ne travaille pas comme les autres, elle fait vraiment du cinéma un art du collectif. Ça se fait ensemble même si, à la fin, c’est elle qui tranche», décrit sa fidèle productrice, Marie-Ange Luciani. Une recette artisanale qui l’a menée jusqu’aux Oscars, à sa plus grande surprise.