D’une «bande de copains» qui voulait «sauver Internet» face aux promoteurs du copyright, la Quadrature du net est devenue en un peu plus de dix ans une association de juristes respectés, omniprésente dans les mobilisations contre les lois sécuritaires. Le Conseil d’Etat doit décider mercredi s’il enjoint au gouvernement de retirer des décrets obligeant les opérateurs télécoms à conserver les données de connexion de leurs clients. C’est «l’affaire la plus importante que la Quadrature ait jamais portée en justice», affirme l’association. Une procédure contre la «surveillance de masse» qu’elle a entamée six ans plus tôt, en pleine vague d’attentats visant la France, et qui l’a profondément transformée. Créée en 2008 par une demi-douzaine d’informaticiens passionnés, la Quadrature du net (LQDN) s’est d’abord opposée aux réformes de la propriété intellectuelle qui menaçaient la philosophie d’une culture libre sur internet. «On était une bande de copains qui avions mené des luttes ensemble, notamment sur les brevets logiciels» ou la loi Dadvsi (relative au droit d’auteurs), raconte l’un de ses co-fondateurs Gérald Sédrati-Dinet. «Puis en obtenant une copie du rapport Olivennes qui préparait la loi Hadopi (contre le piratage des oeuvres en ligne), on s’est rendu compte qu’il prévoyait une coupure de l’accès à internet pour tout téléchargement illégal», se souvient l’ingénieur. Les «cinq gus dans un garage» – selon l’expression du cabinet de la ministre de la Culture Christine Albanel – n’empêchent pas la promulgation de la loi mais obtiennent sa censure partielle par le Conseil constitutionnel. Droit d’auteur, neutralité du net, traité Acta (accord européen anti-contrefaçon), autant de dossiers dans lesquels LQDN a pesé. A ses débuts, «le discours de la Quadrature était la promotion des échanges non marchands. (…) Au fur et à mesure des années, d’autres éléments sont venus changer ses priorités», analyse Bastien Le Querrec, doctorant en droit public, et membre depuis 2019. Avec la loi relative au renseignement de 2015, «on est tombé dans les questions de surveillance et de terrorisme, et c’était beaucoup moins drôle», confirme une ancienne salariée. Certains membres de la Quadrature participent alors avec d’autres associations à un groupe informel de juristes qui souhaitent batailler devant les tribunaux. «Au début du contentieux, certains rapporteurs publics nous prenaient de haut, avec une forme de dédain. Désormais, le Conseil d’Etat ne remet absolument plus en cause notre sérieux», se félicite Bastien Le Querrec. «On a eu deux ans d’état d’urgence (sécuritaire), plus d’un an d’état d’urgence sanitaire… J’ai l’impression qu’il n’y a pas une semaine sans un nouveau fichier de police, de nouvelles atteintes aux libertés. On est dans un monde de fichage et de surveillance généralisée. Il y a dix fois plus de choses à attaquer» que ce qui fait l’objet de recours, estime l’avocat et membre de l’association Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh. «Mais c’est une évolution qui condamne à être tout le temps dans l’échec», reconnaît l’ancienne salariée, «car à chaque attentat on sait que ça va repartir, et aujourd’hui on n’arrive plus à avoir d’impact sur la façon dont la loi est faite au Parlement». Selon elle, l’association souffre aussi d’«une forme d’instransigeance», par exemple sur le règlement européen des données personnelles (RGPD). «On a voulu faire les puristes, mais on n’a pas vu que ce serait une révolution dans la protection des données sur internet». A la même période, l’équilibre de l’association, qui repose sur l’investissement de ses bénévoles avec moins de 10 salariés et un budget annuel de désormais 400.000 euros, connaît des soubresauts. «Avec pas assez de moyens et trop de boulot, les permanents manquaient de direction et devaient prendre toutes les décisions tous seuls», témoigne Laurent Chemla, historique de l’association et routard du web français.
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