La saga TikTok, dernier exemple de l’affrontement technologique sino-américain

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La saga TikTok, que Donald Trump veut faire passer sous contrôle américain, est le dernier exemple de la bataille acharnée entre les Etats-Unis et la Chine pour dominer le secteur des high tech. Au prix d’un interventionnisme nuisible au monde des affaires. Le mandat du président républicain aura été marqué par une offensive commerciale et technologique sans précédent contre Pékin, à coup de tarifs douaniers punitifs et blocage d’entreprises chinoises aux Etats-Unis. L’hôte de la Maison Blanche, qui met en avant les risques d’espionnage via la collecte, à grande échelle, de données des Américains, n’a pas hésité à user de ses pouvoirs et de ses relations pour s’immiscer directement dans certaines transactions, rompant avec la tradition libérale. «Le pays qui remportera (cette bataille technologique) aura d’énormes avantages économiques et géopolitiques», explique Doug Barry, porte-parole du Conseil économique Etats-Unis/Chine (USCBC), qui regroupe plus de 200 entreprises américaines faisant des affaires avec la Chine. Avant l’affaire de l’application à succès TikTok, Donald Trump avait ainsi bloqué en 2018 le rachat du spécialiste de composants pour téléphones portables Qualcomm par Broadcom, alors basé à Singapour, au motif que cela aiderait des entreprises chinoises comme Huawei à dominer le marché stratégique de l’internet mobile ultra rapide, la 5G. L’an passé, c’est Huawei lui-même qui a été placé sur liste noire. Mais nombre d’analystes affirment que les décisions de Donald Trump pourraient se retourner contre le les entreprises américaines en encourageant la Chine et d’autres pays à s’ingérer à leur tour dans les affaires. Les décisions de Trump sur TikTok et d’autres entreprises chinoises «érodent la confiance dans le leadership américain», souligne Darrell West, qui dirige le centre d’innovation technologique de la Brookings Institution. «La vente forcée de la société (TikTok) à des investisseurs américains crée un précédent nuisible», dit-il, y voyant un encouragement à des représailles contre les entreprises américaines. De son côté, Edward Alden, spécialiste des questions commerciales au Council Foreign relations (CFR), constate que les deux pays «passent d’une relation caractérisée par (…) un gain économique mutuel à une relation fondée sur la concurrence stratégique». L’affaire TikTok est «un avertissement majeur» à l’attention des entreprises chinoises sur les dangers potentiels de faire des affaires aux Etats-Unis, poursuit-il. Mais cet interventionnisme sème le doute pour d’autres entreprises étrangères «sur les nouvelles règles» qui régissent désormais le marché américain d’autant que Donald Trump n’hésite pas à favoriser ses patrons amis.Le «Wall Street Journal», quotidien d’affaires jusqu’alors proche du président, a même publié ce mois-ci un éditorial cinglant sur l’accord proposé pour transférer le contrôle de TikTok de sa maison mère chinoise ByteDance à Oracle et Walmart. «L’accord protégera peut-être la sécurité nationale comme le prétend l’administration Trump, mais il confine à un copinage nuisible à la crédibilité et la réputation de terre de libre concurrence» de l’Amérique, commente-t-il. Et cette politisation du monde des affaires a d’ores et déjà des conséquences sur les investissements. A mesure que les tensions sino-américaines se sont accrues, les investissements Chine-Etats-Unis ont en effet fondu, pour tomber au premier semestre à leur plus bas niveau en neuf ans, selon Rhodium, un groupe de recherche indépendant. Dans une analyse récente, il souligne que le déclin a été continu ces dernières années, inversant la vague de fusions et d’acquisitions par des conglomérats chinois aux États-Unis qui avait culminé en 2014 avec l’achat de l’hôtel mythique Waldorf Astoria, un fleuron de l’art déco new-yorkais.