Le Conseil d’Etat rend sa décision mercredi sur la conservation des «fadettes»

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La France peut-elle s’opposer à la jurisprudence européenne pour préserver les enquêtes judiciaires en demandant aux opérateurs de poursuivre la conservation des données de téléphonie et internet ? Le Conseil d’Etat, saisi par des associations dénonçant «une surveillance de masse», rend sa décision mercredi.

Des associations, dont la Quadrature du Net, ont attaqué plusieurs décrets portant sur la collecte et le stockage des données de connexion de la population par les opérateurs, tels qu’Orange, Free, Bouygues et les autres. 

Ces décrets – la plupart pris après les attentats en 2015 -, sont, selon les associations, en contradiction avec des décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Lors de l’audience, vendredi, le rapporteur public a présenté pendant plus de deux heures ses observations sur cette question, qui inquiète magistrats et enquêteurs français, à 17 juges du Conseil d’Etat, réunis en assemblée du contentieux, formation la plus solennelle. 

L’utilisation de métadonnées intervient dans «quatre enquêtes judiciaires sur cinq» et dans «100% des investigations» concernant la grande criminalité, a-t-il rappelé en préambule. «Le droit national ne se coule pas avec aisance dans le moule européen», a-t-il souligné, invitant la plus haute juridiction administrative à envisager de ne pas suivre les injonctions de la justice européenne au nom de la Constitution française, en privilégiant «le dialogue», et suggérant des ajustements. Le rapporteur a estimé que le niveau de menace d’attentats actuel en France justifie de poursuivre la conservation des données. 

En France, les opérateurs doivent conserver les métadonnées des communications (localisation, date, durée, identité…) pendant un an, afin de pouvoir les transmettre aux enquêteurs sur demande d’un magistrat ou, en matière de renseignement, sur autorisation du Premier ministre. 

La CJUE s’est opposée le 6 octobre à «la transmission ou la conservation généralisée et indifférenciée» de ces métadonnées, confirmant un arrêt de 2016 baptisé «Télé2» qui ne prévoit que de rares dérogations temporaires en cas de «menace grave pour la sécurité nationale». La position européenne «a suscité sidération et consternation en France comme à l’étranger», a souligné le rapporteur, Alexandre Lallet. S’en est suivi «un effet d’hallucination», car «cette jurisprudence compromet purement et simplement» les missions des enquêteurs, a-t-il poursuivi. 

Dans son mémoire, la secrétaire générale du gouvernement Claire Landais a rappelé que «la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque Etat membre». «Le gouvernement ne demande rien d’autre que d’abandonner une jurisprudence fermement établie et de renier les principes au coeur de la construction européenne, dans l’unique but de conserver des pouvoirs politiques de surveillance (…) manifestement incompatibles avec les droits et libertés fondamentaux des citoyens européens», a fait valoir l’avocat de la Quadrature du Net, Me Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh.