Le gouvernement et les acteurs français du cloud s’entendent enfin

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«On va pouvoir créer l’équipe de France du cloud»: à l’image de Quentin Adam, patron de Clever Cloud, les entreprises française de «l’informatique nuagique» ont l’impression d’avoir enfin l’oreille du gouvernement après avoir prêché dans le désert pendant des années. Le «cloud», avec ses ordinateurs mutualisés regroupés dans de grands centres de données, est l’outil indispensable dans la numérisation de la société. Il constitue le coeur battant des innombrables applications que nous utilisons quotidiennement, de la messagerie au streaming en passant par les sites de rencontre ou de commerce. Il s’immisce aussi au coeur des entreprises et des administrations, qui externalisent de plus en plus puissance de calcul et espace de stockage numérique pour leur comptabilité, leur relations humaines, ou leur gestion de production. Ce secteur stratégique est complètement dominé en Europe par les grands acteurs américains – Amazon Web Services (AWS), Microsoft, Google pour ne citer que les plus connus – les acteurs européens ne récoltant que les miettes du marché. Les acteurs français du cloud, de petites entreprises pour la plupart à l’exception notamment du leader OVHCloud (2.400 salariés), espèrent désormais que les pouvoirs publics vont les aider à redresser – un peu – la barre, au nom notamment de la sécurité des données européennes. «Il y a eu un basculement» dans l’attitude du gouvernement à l’égard des acteurs français, se félicite Alain Garnier, patron de Jamespot, une plateforme française de travail collaboratif. Le nouveau ministre chargé du numérique, Jean-Noël Barrot «nous a tous reçus» à Bercy, quand son prédécesseur Cédric O «n’avait d’yeux que pour les licornes», ces entreprises numériques à forte croissance qui sont souvent aussi de grandes utilisatrices des AWS et autres Microsoft, souligne-t-il. Lundi dernier à Strasbourg, devant tous les acteurs français du cloud réunis à l’occasion de l’inauguration d’un centre de données d’OVHCloud, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire et Jean-Noël Barrot ont également présenté plusieurs mesures pour fortifier la filière nationale. Bruno Le Maire a annoncé la création d’un «comité stratégique de filière», qui coordonnera l’action des entreprises françaises et de l’État. Le gouvernement va également préciser dans les prochaines semaines ce que sont les «données sensibles», autrement dit les données qui ne pourront pas être stockées sur des clouds américains ou extra-européens. «Plus on clarifiera ce qu’est une donnée sensible, plus ça va nous aider» à convaincre de choisir un cloud français, se félicite Edouard de Rémur, cofondateur d’Oodrive, spécialisée dans le stockage et le travail collaboratif. Le gouvernement va aider les entreprises françaises a accéder à la norme SecNumCloud, exigée pour traiter ces données sensibles – pour l’instant, seules 5 entreprises françaises de cloud ont réussi à accrocher ce label à l’un de leur produit (Oodrive, Outscale, OVHCloud, Worldline, Cloud Temple). Mais si les entreprises françaises sont ravies de voir les choses avancer, elles ne sont pas dupes: la seule vraie démonstration de volontarisme de l’État sera l’octroi de contrats publics et une pression sur les grands groupes du CAC40 pour qu’ils fassent de même. Les entreprises espèrent que ces contrats publics ne se concentreront pas uniquement sur les futures offres franco-américaines Orange-Capgemini-Microsoft (Bleu), et Thales-Google (S3NS), annoncée pour 2024. Certes, ces offres protégeront probablement les données françaises de l’emprise tentaculaire de la justice et des lois américaines. Mais la technologie sous-jacente continuera d’être maîtrisée par les géants américains, un choix trop risqué pour une activité stratégique, estiment-elles.