Les chefs mettent les pieds dans le plagiat

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Un jour qu’il parcourait un blog, le chef pâtissier américain Nick Malgieri tombe sur une recette de panettone. L’auteur de la publication y raconte avec émotion ses «beaux souvenirs de Noël avec (sa) grand-mère italienne», qui lui préparait cette brioche. «J’ai commencé à lire, et je me suis dit: «C’est ma recette!»», confie-t-il. L’expérience, si elle est désagréable, n’est pas unique. Après des décennies de carrière et la publication de 12 livres, Nick Malgieri affirme avoir vu son travail copié tant de fois qu’il ne cherche plus à les compter. Reproduites sans son autorisation sur nombre de sites, ses recettes ont même été imprimées par d’autres auteurs. Dans un livre, le chef assure avoir ainsi découvert sa recette de «pâte feuilletée faite au robot pâtissier», déjà parue dans plusieurs de ses propres écrits, copiée «pratiquement mot pour mot». Comme il s’agissait d’un petit tirage aux bénéfices sans doute minimes, les chances d’obtenir un dédommagement conséquent étaient faibles. La maison d’édition de Nick Malgieri avait décidé de ne pas engager de procédure judiciaire. Mais même quand les auteurs se tournent vers la justice pour faire reconnaître leur préjudice, la victoire est loin d’être garantie. Aux Etats-Unis, la loi sur la propriété intellectuelle ne protège pas les recettes de cuisine, considérées comme «une liste d’ingrédients et de simples instructions», explique l’avocate Lynn Oberlander. «Comment voulez-vous protéger par le droit d’auteur, par exemple, des oeufs brouillés?», interroge-t-elle. Si c’était le cas, le nombre de façons d’en préparer n’étant pas infini, une personne pourrait «interdire à quiconque de publier un livre» comprenant ce plat, selon la spécialiste. Seul espoir pour les auteurs: les recettes incluant «suffisamment d’expressions littéraires originales», c’est-à-dire le récit de souvenirs ou d’histoires, pouvant, elles, être protégées, déclare Lynn Oberlander. En réaction, ces dernières années, les auteurs ont inséré «de plus en plus de descriptions» pour préserver leur travail des copies, tendance parfois jugée «agaçante» par les lecteurs impatients, explique Jonathan Bailey, un consultant spécialiste du plagiat. En octobre dernier, un scandale a mis le milieu de la cuisine en ébullition. L’auteure Sharon Wee avait accusé la cheffe Elizabeth Haigh d’avoir, dans son livre «Makan», «copié ou paraphrasé» des recettes et d’autres passages de son propre ouvrage, publié en 2012.Elle s’était dite «bouleversée» par le plagiat de son livre «Growing Up in a Nonya Kitchen», dans lequel elle racontait l’histoire de sa famille sino-malaise et partageait la cuisine de sa mère. L’éditeur de «Makan» avait finalement choisi de le retirer de la circulation. Mais, dans un milieu qui réinvente continuellement les classiques, où s’arrête l’inspiration et où commence le plagiat? En France, le chef Jacques Maximin avait appelé à la création d’un organisme protégeant la création artistique des chefs en 1986, pour combler un vide juridique.Tollé chez les stars du milieu. Se disant «perplexe», Paul Bocuse avait affirmé que les chefs sont «tous influencés par d’autres», glissant avoir «piqué» l’un de ses plats les plus réputés à «un vieux pépé de Basse Ardèche». Tous n’ont pas la même position sur la question. Sur certains blogs, on trouve des articles appelant à «arrêter le plagiat» ou détaillant la marche à suivre pour reproduire le travail de quelqu’un d’autre de façon éthique. Car «internet a fait du plagiat un sport», déplore Nick Malgieri. Certaines recettes apparaissent «sur 20 ou 30 blogs», à tel point qu’il est «vraiment impossible de déterminer l’originale», selon lui. Pour Kelli Marks, habitante de l’Arkansas qui tient un site de cuisine et vend des gâteaux de mariage, la plupart des blogueurs ne se font plus d’illusions sur la possibilité que leurs contenus soient volés. Kelli Marks se méfie: elle refuse de mettre sur internet certaines de ses recettes de gâteaux.