Pakistan : les stars du journalisme visées par des attaques

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Ils s’invitent chaque jour chez des millions de Pakistanais pour critiquer le pouvoir et les talibans. Mais les stars du journalisme télé Hamid Mir et Raza Rumi en ont payé le prix, visés par une inquiétante série d’attaques contre les voix libres des médias. Si vous demandez à une personne dans la rue à Peshawar, Lahore, Karachi ou Islamabad de nommer un seul journaliste au Pakistan, la réponse risque fort d’être le moustachu et corpulent Hamid Mir, étoile de la chaîne Geo News, sorte de CNN local, à la barre de son talk-show politique «Capital talk». Samedi dernier, peu après son arrivée à Karachi (sud), des hommes armés à moto l’ont pris en filature à la sortie de l’aéroport, puis vidé leurs chargeurs sur son véhicule avant de prendre la fuite. Criblé de six balles, Mir survivra. Un mois plus tôt, c’était Raza Rumi, intellectuel ouvertement laïc et étoile de la chaîne d’informations Express TV, qui réchappait à une attaque du même type à Lahore (est). «Mon chauffeur est mort sous mes yeux, c’était traumatisant. C’est ma priorité maintenant, je ne veux que personne d’autre ne meure parce qu’on m’attaque», confie par téléphone M. Rumi depuis un «pays occidental» où il s’est depuis réfugié avec sa famille.   Le Pakistan reste l’un des pays les plus dangereux du monde pour les journalistes avec plus de 50 morts depuis 2001, selon le Comité de protection des journalistes (CPJ).Les médias y sont menacés ou visés depuis des années par les rebelles talibans. Mais les puissants services secrets pakistanais (ISI), un Etat dans l’Etat, sont également régulièrement accusés de nourrir ces violences. Mir a dénoncé les talibans mais aussi, à mots plus couverts, l’ISI en évoquant ses activités dans la province du Baloutchistan (sud-ouest), où ils sont accusés d’enlèvements et assassinats ciblés d’opposants indépendantistes et autres civils. Rumi a lui notamment pris la défense des minorités, musulmanes comme chrétienne, et critiqué la loi sur le blasphème, défendue bec et ongles par les conservateurs et rebelles islamistes. Des responsables qui avaient eux aussi critiqué cette loi l’ont payé de leur vie, notamment le ministre des minorités Shahbaz Bhatti ou le gouverneur du Penjab Salman Taseer, assassinés en 2011. Tétanisés, les politiques ne franchissent plus ces «lignes rouges», et les seuls à le faire sont une «douzaine de journalistes» que les talibans «tentent de museler», note M. Rumi. «Si vous voulez terroriser les médias, vous vous en prenez à une ou deux personnes connues dans l’espoir que les autres rentrent dans le rang», ajoute-t-il.Résultat, «il règne un climat de peur extrême» chez les journalistes, souligne Omar Quraishi, un cadre du quotidien «Express Tribune», tout en soulignant que «les menaces viennent aussi de l’armée, de riches propriétaires terriens et de mafieux».