Semi-conducteurs: avec TSMC, le Japon rêve de revenir au 1er plan dans ce secteur stratégique

106

Au milieu de champs de carottes et de choux, des ouvriers mettent la touche finale à la 1ère usine japonaise du géant taïwanais des semi-conducteurs TSMC, symbole de la volonté de Tokyo de revenir au 1er plan dans ce secteur stratégique. Cette méga-usine d’un coût équivalent à 8 milliards d’euros – subventionné à plus de 40% par le Japon – sera inaugurée samedi à Kikuyo, une petite ville du département de Kumamoto, dans le sud-ouest de l’archipel. C’est l’un des piliers de l’ambitieux plan du Japon de revitaliser son industrie des semi-conducteurs, en injectant l’équivalent de plusieurs dizaines de milliards de dollars dans le secteur. Pour TSMC, il s’agit de diversifier davantage ses capacités industrielles, sur fond de la montée des craintes d’une invasion de Taïwan par la Chine. L’usine de Kumamoto est l’un des plus importants investissements industriels à l’étranger de TSMC, souligne Chris Miller, professeur à l’université Tufts près de Boston (Etats-Unis) et auteur en 2022 de «Chip War», un livre remarqué sur la compétition dans les puces électroniques que se livrent désormais l’Asie, les Etats-Unis et l’Europe. Cette usine «va aussi consolider la relation politique entre Taïwan et le Japon, à un moment où Taïwan cherche à s’assurer qu’il a des alliés puissants pouvant l’aider à résister à la pression chinoise», ajoute M. Miller. Avec des groupes comme Toshiba et NEC, le Japon dominait le marché mondial des micro-puces dans les années 1980. Mais son importance dans ce domaine a ensuite fondu devant la concurrence taïwanaise et sud-coréenne: le Japon n’a plus que 10% de parts de marché dans ce secteur, contre plus de 50% à sa grande époque. Le gouvernement nippon prévoit d’investir jusqu’à 4.000 milliards de yens (environ 25 milliards d’euros) sur 3 ans, dans le but de tripler les ventes de puces «made in Japan» d’ici 2030, à plus de 15.000 milliards de yens (plus de 90 milliards d’euros au cours actuel) par an. Plus tôt ce mois-ci, TSMC a confirmé qu’il allait construire une 2ème méga-usine dans le département de Kumamoto, là aussi avec un important soutien financier de Tokyo et d’entreprises privées japonaises comme Sony et Toyota. TSMC songe aussi à construire une 3ème, voire une 4ème usine géante au Japon à plus long terme, selon la presse. Le gouvernement japonais a aussi mis sur pied Rapidus, un consortium public-privé associé avec l’américain IBM pour produire au Japon la future génération de semi-conducteurs, des circuits intégrés d’à peine 2 nanomètres : de quoi concentrer 50 milliards de transistors sur la taille d’un ongle. Le chantier de la 1ère usine de Rapidus a démarré en septembre dernier à Hokkaido (nord du Japon). D’autres fabricants de puces japonais et américains bénéficient de généreuses aides de Tokyo pour doper leurs capacités industrielles dans l’archipel. TSMC, qui compte Apple et Nvidia parmi ses clients, contrôle plus de la moitié de la production mondiale de puces, utilisées dans tous les domaines, des smartphones aux voitures connectées en passant par les missiles et l’IA. Le groupe est aussi en train de bâtir un gigantesque site de production en Arizona, un chantier qui a pris du retard, et en prévoit un autre en Allemagne, son 1er en Europe. Mais le Japon a l’avantage d’être géographiquement proche de Taïwan, d’avoir une grande expérience dans la production de semi-conducteurs et d’être efficace : l’usine de TSMC a été achevée en seulement 22 mois. Mais comme pour d’autres secteurs d’activité, le pays craint de manquer de main-d’oeuvre pour redévelopper sa filière des semi-conducteurs, à cause de son déclin démographique prononcé. D’autres domaines technologiques, comme les logiciels, sont plus cotés auprès des étudiants japonais, et l’industrie des semi-conducteurs apparaît aussi comme risquée pour ceux cherchant un emploi stable, car son activité est très cyclique.