TikTok pris dans la querelle entre Chine et Etats-Unis

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Une proposition de loi américaine pour séparer TikTok de sa maison-mère chinoise doit passer devant le Sénat à Washington, mais les experts estiment que la réponse de Pékin à une vente forcée de l’application – et de son algorithme, sa «sauce secrète» – sera claire: pas question. La proposition de loi a été adoptée la semaine dernière par la Chambre américaine des représentants. Le texte prévoit de contraindre la maison-mère de la plateforme de partage de brèves vidéos, la société chinoise ByteDance, à vendre TikTok, sous peine d’interdiction aux États-Unis. Mais Pékin ne veut pas d’un tel précédent, d’autant que l’algorithme suscite l’envie de ses concurrents, jugent les experts. «Ce genre de menace est comme un vol», selon Mei Xinyu, un économiste basé à Pékin. Les élus américains s’inquiètent de l’éventuel accès des autorités chinoises aux données des utilisateurs américains de TikTok ainsi qu’à sa capacité à faire de la propagande sur la plateforme. TikTok a rejeté ces accusations, disant avoir dépensé 1,5 milliard de dollars (1,38 milliard d’euros) pour son «Projet Texas», le stockage aux États-Unis des données des utilisateurs américains. Mais de nombreux parlementaires et des agences de sécurité américains, dont le FBI, ne sont pas convaincus. Pour certains, les données ne sont qu’une partie du problème et il est essentiel que l’algorithme qui produit des recommandations personnalisées pour les utilisateurs soit déconnecté de ByteDance. Cet algorithme fournissant des contenus sur mesure a contribué au succès stratosphérique de TikTok depuis le lancement de l’application à l’international en 2017. Ses caractéristiques précises restent un secret jalousement gardé, mais elles ont permis à TikTok d’atteindre le milliard d’utilisateurs en 4 ans. Facebook, en comparaison, a mis plus de 8 ans pour faire pareil. D’autres réseaux sociaux proposent des contenus sur mesure grâce à des algorithmes analysant les données des utilisateurs, mais pas avec autant de succès. L’algorithme est «précieux car TikTok est addictif. Les gens passent plus de temps sur TikTok que sur d’autres réseaux sociaux», explique James Andrew Lewis, expert en technologies du Center for Strategic and International Studies (CSIS), un think-tank américain. L’administration de l’ex-président américain Donald Trump avait déjà cherché à faire interdire TikTok en 2020, et l’algorithme avait déjà été au coeur des discussions. Cette année, le gouvernement chinois a désigné comme technologie protégée les algorithmes fournissant des recommandations basées sur l’analyse des données d’utilisateurs. Aucune société en particulier n’a été nommée, mais pour l’économiste Mei Xinyu l’initiative est une conséquence des pressions américaines sur TikTok. TikTok assure que grâce à son «Projet Texas», son algorithme de recommandation pour les utilisateurs américains est stocké avec leurs données dans des serveurs Oracle aux États-Unis. Mais en janvier, le «WSJ» a affirmé que les employés de ByteDance en Chine mettaient si souvent à jour l’algorithme que le «Projet Texas» n’arrivait pas à suivre. Son PDG Shou Zi Chew a déjà assuré que TikTok ne sera «manipulé par aucun gouvernement» et que jamais le gouvernement chinois n’a demandé de données d’utilisateurs américains. Mais à Pékin, les autorités n’ont pas mâché leurs mots concernant la proposition de loi américaine, prévenant que la Chine prendrait toutes les mesures nécessaires pour défendre ses intérêts. «Il y a le désir de préserver l’option d’une relation avec les services de renseignement, et il y a un peu de fierté nationaliste», analyse M. Lewis, du CSIS. La Chine veut éviter une vente forcée pour protéger les sociétés du pays, selon Zhang Yi, fondateur de la société de recherches technologiques iiMedia. «Une fois le précédent posé, d’innombrables sociétés chinoises risqueraient le même sort à l’avenir».