USA: internet n’a pas compensé les suppressions d’emplois de la presse papier

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En un quart de siècle, journaux et magazines papier ont perdu plus de 300.000 postes aux Etats-Unis, quand l’information sur internet n’en a créé que la moitié à peu près, appuyée sur un modèle encore instable. «Peu d’industries ont été autant affectées par l’ère du numérique (…) que les journaux et les autres secteurs de l’édition», résume le département du Travail, qui a publié ces chiffres lundi. Ils sont accablants. Quelque 317.600 emplois sur les 594.400 que comptait la presse papier aux Etats-Unis, journaux et magazine, ont disparu entre mars 1991 et mars 2016, soit plus de la moitié (53%). L’ampleur du phénomène était masquée par le maintien de la plupart des titres. Le nombre de journaux quotidiens n’a ainsi baissé que de 16% lors de ces 25 années. Dans le même temps, l’information sur internet a créé 169.300 postes en net, soit une perte nette de 148.300 emplois au total pour la presse écrite. Entre papier et écran, de nombreux métiers ont souffert, voire disparu, notamment dans la mise en page et l’impression. «Cela ne nécessite certainement pas autant de gens pour écrire, relire, mettre en page et publier un article. Le compte n’y est pas», appuie Gordon Borrell, DG du cabinet Borrell Associates. En outre, les emplois de journalistes créés par les sites d’information n’ont souvent pas été pourvus par des transfuges de la presse papier. «Les suppressions de postes étaient destinées à se séparer des gens les plus anciens et avec les salaires les plus élevés», souligne Rick Edmonds, spécialiste de l’économie des médias au sein de l’institut indépendant Poynter. Or, ajoute-t-il, l’expérience n’a longtemps pas été valorisée sur internet, où les valeurs cardinales étaient la jeunesse, la sensibilité technologique et le coût. «Dans une certaine mesure, on cherchait des qualités différentes et des gens différents» de ceux qui n’avaient connu que le papier, résume Rick Edmonds. L’expérience était d’autant moins recherchée que l’édition, la relecture et le travail de la copie n’avait souvent pas la même importance que pour le papier, dit-il.Pour Rick Edmonds, la conception de l’information sur internet évolue néanmoins. «Depuis l’an dernier, il y a comme un revirement vers l’idée qu’il est vraiment important d’avoir du bon journalisme plutôt que seulement une manière efficace d’attirer les gens», dit-il. De manière générale, qu’il s’agisse d’émanations de titres papier ou d’acteurs présents uniquement sur internet, les sites d’information évoluent tous à tâtons, sur le plan éditorial mais aussi économique, à la recherche d’un modèle viable. Alors que côté papier, la purge continue, avec récemment l’ouverture d’un guichet départ au «New York Times», plusieurs sites qui marchaient jusqu’ici sur l’eau ont également réduit leurs effectifs, à l’instar de Vice et de Mashable. «Je n’y vois pas un retour de manivelle, mais certains sites, qui ont cru extrêmement rapidement à leurs débuts n’ont pas atteint leurs objectifs. (…) Ils doivent donc s’ajuster», analyse Rick Edmonds. Quant aux titres qui viennent du papier et ont développé une présence sur internet, l’heure du basculement stratégique approche, selon Gordon Borrell. Les revenus publicitaires du papier, qui sont déjà au plus bas depuis 1980 (selon l’association américaine des journaux, la NAA), sont encore attendus en baisse cette année, et il va falloir désormais aller chercher les annonceurs d’abord sur internet, prévient le consultant. En l’état, la publicité en ligne ne pèse qu’une fraction des revenus encore tirés du papier (21%), selon la NAA (chiffres 2014). La transition va être difficile, annonce Gordon Borrell, et provoquer, selon lui, la disparition de plusieurs titres papier. Il s’inquiète tout particulièrement pour les journaux locaux, qui représentent la grande majorité de l’offre aux Etats-Unis, les titres à rayonnement national ou international ayant davantage de perspectives.