France 2/ l’Azerbaïdjan qualifié de «dictature»: la procédure en diffamation de Bakou jugée irrecevable

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e tribunal correctionnel de Nanterre a jugé mardi irrecevable la procédure intentée par l’Etat d’Azerbaïdjan contre France Télévisions et deux journalistes dont la présentatrice de France 2 Élise Lucet, poursuivie en diffamation pour avoir qualifié cet État de «dictature» dans son émission «Cash Investigation». Le tribunal a estimé que «la plainte avec constitution de partie civile de l’Etat d’Azerbaïdjan était irrecevable», a indiqué sa présidente. Les avocats de la défense avaient demandé l’irrecevabilité de la procédure, une demande relayée par le ministère public dans ses réquisitions, à l’audience du 5 septembre. «La loi sur la liberté de la presse a pour objectif d’assurer la liberté d’expression et ne permet pas à un Etat d’engager des poursuites contre un particulier», a souligné la présidente du tribunal, rappelant qu’en la matière, «la loi pénale était d’interprétation stricte» et que l’Etat caucasien n’avait «pas plus de droits que l’Etat français». Si tel n’était pas le cas, «cela reviendrait à instituer une forme de contrôle a posteriori de la presse, ce que la loi sur la liberté de la presse de 1881 interdit», a-t-elle rappelé. Dans l’émission diffusée le 7 septembre 2015, Elise Lucet avait introduit un reportage sur les coulisses des voyages présidentiels de François Hollande et largement consacré à l’Azerbaïdjan, en présentant le régime de Bakou comme une «dictature, l’une des plus féroces au monde». Évoquant le même jour sur France Info ce reportage dont il est l’auteur, le journaliste Laurent Richard – également jugé dans cette affaire, tout comme la présidente de France Télévisions Delphine Ernotte – avait qualifié le président azerbaïdjanais Ilham Aliev de «dictateur» et de «despote». Le tribunal a rejeté la demande de M. Richard de 5.000 euros de dommages et intérêts pour «procédure abusive» du fait de la déclaration d’irrecevabilité de la procédure (les dommages et intérêts n’intervenant éventuellement qu’en cas de relaxe du prévenu). Les avocates de France Télévisions et des deux journalistes ont toutes deux salué une «très bonne décision». Selon Me Julie Félix, qui défendait les intérêts de Mmes Ernotte et Lucet, le tribunal de Nanterre a «envoyé un signal fort à ces Etats autoritaires et autres dictatures qui considèrent qu’il faut poursuivre les journalistes français jusque sur le territoire français». «C’est une bonne nouvelle pour le journalisme d’investigation», a-t-elle ajouté. La motivation du tribunal «est très intéressante», a souligné quant à elle Virginie Marquet, avocate de M. Richard: «Le tribunal a reconnu qu’agir contre un citoyen et encore plus un journaliste serait gravement attentatoire à la liberté d’expression». Pour elle, une telle décision «met fin à toute possibilité pour un Etat de censure politique sur des journalistes». L’avocat de l’Etat d’Azerbaïdjan Olivier Pardo a, lui, dénoncé un «déni de justice», indiquant qu’il «conseillerait à ses clients de former un appel». «Il est parfaitement aberrant de dire qu’un Etat ne serait pas recevable à agir en diffamation» car «cela signifie qu’on pourrait insulter un Etat comme on veut» sans que celui-ci «puisse se défendre».Cet avocat a par ailleurs rappelé que l’Azerbaïdjan n’était certes «pas une démocratie parfaite», mais que ce pays avait «aboli la peine de mort», qu’il abritait «50 partis politiques» et «où internet est ouvert». L’Azerbaïdjan occupe la 162e place sur 180 dans le dernier classement de la liberté de la presse établi par l’organisation Reporters sans frontières.