Au Moyen-Orient, les géants du streaming tentent de rafraîchir une industrie musicale arabe qui n’est plus à la page

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Oubliés le piratage généralisé, les chansons postées gratuitement sur internet et les chaînes de clips démodés: les géants du streaming tentent de rafraîchir une industrie musicale arabe qui n’est plus à la page, en retard à l’ère du numérique payant. Fortes de leur succès sur les continents européen et américain, les plateformes de diffusion musicale «en streaming» («en ligne», NDLR) s’intéressent à des marchés émergents, dont le Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord où la jeunesse est ultra-connectée. Le numéro un mondial Spotify ne cache pas son ambition de s’imposer dans le secteur musical moribond de cette région en proie aux troubles politiques et aux crises économiques. «Nous sommes arrivés (en 2018) avec un service entièrement en arabe, des playlists localisées et une équipe locale», explique Claudius Boller, DG du groupe suédois au Moyen-Orient et en Afrique. Très prolifique et moderne jusque dans les années 2000, l’industrie musicale arabe a ensuite périclité et pris du retard dans la distribution de sa production sur les plateformes de streaming. Or, les revenus mondiaux du streaming ont bondi de 22,9% en 2019 à 11,4 milliards de dollars, représentant pour la 1ère fois «plus de la moitié» des revenus totaux de la musique enregistrée, selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique. Pour séduire auditeurs et professionnels au Moyen-Orient, Spotify fait valoir un atout majeur par rapport à la concurrence: il offre une «plateforme mondiale» aux artistes arabes. «Aujourd’hui, la musique et les artistes arabes sont présentés au monde entier et découverts grâce à Spotify», relève M. Boller, citant l’exemple de l’acteur et rappeur égyptien tapageur Mohamed Ramadan, mis à l’honneur sur un panneau publicitaire de Times Square, à New York. Le hip-hop est le genre le plus populaire auprès de ses auditeurs dans la région. Et «les artistes les plus demandés sont tous locaux», comme la rappeuse koweïtienne Queen G, l’Egyptien Marwan Moussa ou le Marocain Stormy, souligne-t-il. La croissance du groupe dans la région est «phénoménale», affirme le responsable, refusant toutefois de divulguer des chiffres. Le français Deezer comptait lui aussi frapper fort en 2018 à la faveur de la signature d’un contrat d’exclusivité avec le label saoudien Rotana, le plus important de la région mais en perte de vitesse. «Après la signature de contrats avec des compagnies internationales comme Deezer, les recettes vont revenir», assurait alors Salem al-Hendi, DG de Rotana, propriété du prince et homme d’affaires Al-Walid ben Talal. Mais la société n’a toujours que peu de présence sur internet et beaucoup de ses artistes vedettes l’ont récemment désertée. En deux ans, elle n’a signé aucune nouvelle star notable, ni considérablement accru sa production. «Il y a un jeu de dupes car le marché arabe est assez peu connu», observe Pierre France, chercheur à l’Orient-Institut Beirut et spécialiste de l’industrie musicale du monde arabe. Les géants du streaming ont vu le Moyen-Orient comme «un eldorado» avec un vaste marché inexploité, mais ils ont réalisé qu’il était «compliqué» de collaborer avec une industrie «vieillissante», «désorganisée» et «sans vision» pour les artistes. Alors, face aux colosses mondiaux, Anghami joue à fond la carte du local. La plateforme libanaise de streaming se targue d’un riche catalogue de chansons arabes et d’une meilleure connaissance des goûts des auditeurs. Les artistes et les labels régionaux «doivent s’adapter aux nouvelles technologies et orienter davantage d’utilisateurs vers les services payants», estime Arun Sajjan, chef des droits de diffusion chez Anghami, soulignant que la plupart des artistes continuent de diffuser gratuitement leurs morceaux sur YouTube.