Berlinale: Panahi récompensé, victoire pour la liberté d’expression

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Le prestigieux Ours d’or décerné au cinéaste iranien dissident Jafar Panahi à la Berlinale était salué dimanche comme une victoire pour la liberté d’expression, au dernier jour du 65e festival du film de Berlin. En accordant le prix du meilleur film à «Taxi», une chronique de la société iranienne à travers les déambulations d’un chauffeur de taxi à Téhéran, le jury a placé sous les projecteurs un cinéaste interdit de travailler dans son pays et de voyager à l’étranger. 

«Je suis vraiment heureux pour moi-même et pour le cinéma iranien», mais «aucun prix ne vaut celui que mes compatriotes voient mes films», a réagi Jafar Panahi auprès de l’agence semi-officielle Ilna, lors d’un rare entretien avec un média iranien. Le film est le 3ème long métrage réalisé par Jafar Panahi en défiant les autorités iraniennes depuis qu’il a été arrêté en 2010 alors qu’il préparait un film sur les manifestations contre la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad. «Les gens au pouvoir nous accusent de faire des films pour les festivals étrangers. Ils se cachent derrière des murs politiques et ne disent pas que nos films n’ont jamais reçu d’autorisation de diffusion dans les cinémas iraniens», a dit le cinéaste, plusieurs fois primé à l’étranger. 

Le réalisateur américain Darren Aronofsky, président du jury de la Berlinale, lui a rendu un vibrant hommage samedi soir. «Plutôt que de laisser détruire son esprit et d’abandonner, plutôt que de se laisser envahir par la colère et la frustration, Jafar Panahi a écrit une lettre d’amour au cinéma», a-t-il déclaré en lui décernant le prix. En l’absence du cinéaste, la récompense suprême de la Berlinale a été reçue par sa nièce, Hana Saeidi, qui joue dans le film. «Je suis incapable de dire quoi que ce soit. Je suis trop émue», a lancé la petite fille en larmes, qui a brandi le trophée. La dimension politique de la récompense a été soulignée par le chef de la diplomatie allemande. «Je me réjouis beaucoup de la décision du jury international de décerner l’Ours d’or à Jafar Panahi», a réagi Frank-Walter Steinmeier, y voyant «un signal important pour la liberté de l’art». «Cette Berlinale a montré comment l’art et la conscience politique pouvaient faire passer des messages, particulièrement dans cette période de troubles mondiaux», s’est félicité le quotidien berlinois «Tagesspiegel», à la Une de son édition dominicale. Le site web de l’hebdomadaire «Spiegel» a estimé aussi que l’Ours d’or envoyait «un message important contre les restrictions à l’art», y voyant un «triomphe pour la liberté d’expression». «La Berlinale reste politique» conformément à sa tradition et sa réputation, a souligné Spiegel Online. Hana Saeidi a pleuré «des larmes de joie alors que le monde prenait note du sort de son oncle, qui représente beaucoup d’autres artistes menacés par la censure et la répression en Iran et dans d’autres pays», relevait l’hebdomadaire. Le magazine spécialisé «The Hollywood Reporter» a qualifié l’Ours d’or à Panahi de «victoire à la fois pour le cinéma et la liberté artistique». Observateur engagé de la société, Panahi est un habitué de la Berlinale. Il avait reçu le Grand Prix du jury en 2006 pour «Hors jeu» et le prix du scénario en 2013 pour «Pardé». Cette année, son film «Taxi» avait suscité l’enthousiasme du grand public comme de la critique. Incarnant lui-même un chauffeur de taxi, il met en scène, dans une production drôle et profonde, différents passagers – y compris des membres de sa propre famille – qui témoignent du quotidien en Iran. La bible du cinéma Variety a vu en «Taxi» un «road movie sensationnel» offrant «une discussion provocante sur les moeurs sociales de l’Iran et l’art du récit cinématographique».