Confinement/ enfants : la crainte des conséquences de «l’orgie numérique»

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«Désormais il réclame du matin au soir!». Avec le «Grand confinement», de nombreux jeunes enfants passent beaucoup de temps sur les écrans, pour leurs devoirs ou pour un usage récréatif, une situation qui inquiète certains parents et professionnels de l’enfance. Dans le centre-ville de Rennes, Anne, mère d’un enfant unique en CP, menait une «politique zéro écran». Avec la fermeture de son école en raison du virus, Jean-Baptiste a commencé à découvrir la télévision et l’ordinateur. «Dès qu’il est devant un écran, il est comme hypnotisé, il n’y a plus de contrôle. On s’est rendu compte qu’il adorait la pub et il demande du coca-cola ou il nous fait remarquer qu’il n’a mangé que trois fruits et légumes dans la journée», au lieu des 5 préconisés dans une publicité, glisse Anne. Alain trouve lui que son fils «est devenu moins créatif». Avec le confinement, de nombreux maîtres et maîtresses en école maternelle ou primaire, ainsi que des activités de type conservatoire, ont pris l’habitude de transmettre des devoirs par courriel ou demandent d’envoyer par photo ou vidéo des exercices. Anne Owczarczak, mère de Paul (CM1), fait en sorte d’imprimer un maximum. «On n’a pas souhaité démultiplier les opportunités d’aller sur les écrans, on a vu que ça pouvait avoir un effet négatif sur Paul», dit cette Rennaise. Sophie, mère de 3 enfants, utilise l’ordinateur pour que son enfant Augustin entende la voix de son maître qui a enregistré les dictées, parsemées de petits conseils ou commentaires. «Avant, durant la semaine, il n’y avait pas d’écran … C’est quand même un changement», dit cette femme travaillant dans l’édition. Gaspard, cadre supérieur à Paris, et son épouse en télétravail à leur domicile parisien, doivent s’occuper de leur enfant unique, Victor, en moyenne section de maternelle. «Pour nous permettre d’avoir un moment de calme et pour travailler, on met à Victor un film par jour l’après-midi alors qu’en temps normal on utilisait très peu», dit-il. «On sent qu’il adorerait être devant les écrans toute la journée…». Face à cette situation inédite, Michel Desmurget, directeur de recherche à l’Inserm et auteur de «La fabrique du crétin digital» (Seuil), estime qu’il est nécessaire de distinguer les écrans récréatifs de ceux utilisés pour la pédagogie. «A partir du moment où les enfants ne peuvent pas aller à l’école, cet apprentissage numérique est une béquille qui est mieux que rien», explique-t-il. En ce qui concerne les écrans récréatifs (jeux vidéos, télévision, réseaux sociaux…), «on a une explosion du temps passé sur ces écrans là au détriment d’autres activités beaucoup plus nourrissantes pour le cerveau. Les enfants sont aussi soumis à un bombardement sensoriel pour lequel le cerveau n’est pas fait et qui affecte la concentration», dit-il. Inquiétude également partagée par la pédiatre Sylvie Dieu-Osika, qui a publié «Les écrans, mode d’emploi pour une utilisation raisonnée en famille» (Hatier), notamment pour les plus petits, alors qu’elle souligne l’importance du «zéro écran» avant deux ans. «Si on a appris à un enfant de moins de trois ans à se calmer avec, à manger avec, à passer du temps pour être calme, il va garder ce réflexe. On va se retrouver avec des gamins qui vont faire des crises, avec des retards de langage…», craint-elle, alors qu’elle vient de recevoir à son cabinet des parents laissant pendant trois heures par jour leur bébé d’un an devant YouTube kids. Avant 3 ans, l’agence nationale de santé publique préconise sur son site internet d’éviter «de mettre votre enfant dans une pièce où la télévision est allumée, même s’il ne la regarde pas. Le plus important pour le développement de l’enfant reste bien sûr d’interagir et de jouer avec lui (…)». «Cette période d’orgie d’écrans récréatifs, et d’écrans en général, risque de poser des problèmes pour la sortie» du confinement, craint Michel Desmurget.