Les jeux vidéo à budget moyen creusent leur sillon

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Mise en lumière par quelques productions très remarquées, la catégorie des jeux vidéo à moyen budget a réussi à sortir de l’ombre des «blockbusters». Une ambition dont la France tire parti, mais qui n’est pas sans danger pour les équipes. Commercialisé mardi, «Banishers: Ghosts of New Eden» incarne cette tendance: dernier né du studio français Dont’ Nod Entertainment, ce titre à l’ambiance sombre et à l’esthétique travaillée n’a rien à envier aux plus gros succès du moment. Cette histoire d’amour et de chasseurs de fantômes dans l’Amérique du XVIIe siècle a mobilisé une centaine de développeurs pendant cinq ans. «C’est notre plus gros projet» à ce jour, confirme Philippe Moreau, son directeur créatif. «Banishers» fait partie de cette catégorie intermédiaire appelée «AA», à mi-chemin entre les créations indépendantes majoritairement conçues par de petites équipes et les superproductions coûtant plusieurs centaines de millions de dollars. «On n’est pas du tout sur les mêmes tailles d’équipes qu’un +The Witcher+», blockbuster créé par le studio polonais CD Projekt, expliquait en novembre Elise Galmard, chargée de l’histoire de «Banishers». «Mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas rivaliser.» «On trouve des solutions créatives» pour donner le change, complète M. Moreau, citant par exemple la diminution du nombre de personnages rencontrés. A côté du mastodonte Ubisoft, plusieurs studios français ont fait de cet entre-deux leur marque de fabrique, à l’image de «Stray», succès surprise des Montpelliérains de BlueTwelve en 2022. A l’international, «Palworld» ou «Helldivers 2» ont conquis ces dernières semaines des millions de joueurs en un temps record. «De plus en plus de joueurs se plaignent du fait que les jeux sont devenus trop grands et trop longs», décrypte le journaliste américain Stephen Totilo, fondateur du site spécialisé Game File. Plus courts et souvent un peu moins chers pour le consommateur, «c’est là que les +AA+ trouvent leur place» sur le marché. Ancien journaliste du secteur qui conseille désormais les studios, Benoît Reinier, plus connu sous le pseudonyme Ex Serv sur internet, a pu suivre au jour le jour le développement de «A Plague Tale: Requiem» du studio bordelais Asobo, sorti en 2022. Pour lui, si le but d’un jeu à moyen budget reste d’être rentable, ces productions «vont prendre plus de risques» avec des histoires plus sombres, plus adultes, plus tragiques. «C’est là-dessus qu’ils vont chercher à se distinguer des jeux très grand public.» Car, dans cette industrie, l’argent ne fait pas forcément le bonheur. «Plus tu as du budget et plus c’est compliqué de faire un jeu vidéo», constate-t-il. «Avec une équipe réduite, c’est plus facile de communiquer et de bien répartir les tâches», détaille M. Reinier. A l’inverse, les gros studios «ont du mal à tenir sur la durée parce qu’ils n’arrivent pas, ou ne cherchent pas, à garder leurs talents.» Il estime que «c’est souvent le facteur humain qui est le plus négligé, surtout dans les grosses boîtes». Les studios plus petits ne sont pas pour autant à l’abri. La semaine passée, le Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo s’inquiétait des conditions de travail au sein de Dont’ Nod, dénonçant les «risques psycho-sociaux» auxquels sont soumises les équipes du fait d’une «pression énorme», d’un «sous-staffing» (manque de personnel, NDLR) et d’une «réorganisation éprouvante». Fondée en 2008, l’entreprise compte près de 360 salariés répartis entre Paris et Montréal. Autre écueil qui guette le segment des jeux «AA»: vouloir trop ressembler aux plus grosses productions, selon Benoît Reinier. «Banishers» essaye de raconter une histoire assez poignante mais, derrière, il propose une expérience qui est la même que tous les autres jeux. (…) Au risque de proposer quelque chose de moins bien», regrette-t-il.