L’industrie télé ukrainienne résiste

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Une série sur «ceux qui sont restés» à Kiev pendant la guerre, une autre rappelant «En thérapie»… S’émancipant de l’ex-partenaire russe au profit de l’Europe, la télé ukrainienne continue de tourner malgré les bombes, insistent ses représentants, en quête de soutiens au Mipcom à Cannes. «Les contenus sont notre arme», insistait récemment Polina Tolmacheva, directrice marketing du groupe audiovisuel ukrainien FILM.UA, en amont du plus grand marché mondial du secteur. Si elle n’a pu se rendre sur la Côte d’Azur, plusieurs dizaines de ses compatriotes ont en revanche fait le déplacement pour promouvoir une industrie née avec la fin de l’URSS, «jeune et pleine d’énergie», mais évidemment fragilisée par l’invasion russe de février. «Aucun d’entre nous n’était préparé à une crise d’une telle intensité», a souligné lors d’une conférence mercredi à Cannes Dmytro Troitskiy, du groupe de médias ukrainien Starlight Media. Mais la télé ukrainienne «a relevé le défi et s’en sort plutôt très bien». Les informations – communes à toutes les chaînes depuis huit mois – ont été diffusées «sans aucune interruption» et «les tournages en repris en avril» à Kiev et dans l’ouest du pays, a fait valoir le dirigeant. La 2ème saison d’une série comique, «Crazy neighbours», est ainsi actuellement en tournage, tandis que la 12e saison de l’adaptation locale du télécrochet «The Voice», interrompue cet hiver, a repris. Depuis le début de la guerre dans le Donbass en 2014, l’Ukraine a accéléré la production de contenus locaux pour alimenter ses antennes, où pullulaient jusqu’alors les programmes russes. Il s’agissait notamment de répondre à une demande du public et à l’instauration de quotas pour des formats en langue ukrainienne, a expliqué Kateryna Udut, PDG du distributeur MRM. En 2021, le pays a produit ou coproduit 116 séries et pouvait compter sur un marché TV publicitaire de 400 millions de dollars. Mais les annonceurs ont déserté la télévision, monopolisée par les informations, les fonds publics ont été redirigés vers l’armée et de nombreux professionnels exilés «risquent de ne plus revenir», redoute Kateryna Udut. Pour assurer leur survie, les principaux producteurs et diffuseurs du pays se sont réunis derrière la bannière «Ukrainian content, global cooperation» (UCGC) pour proumouvoir leur savoir-faire au plan mondial et recueillir des soutiens financiers. Ils lanceront ainsi prochainement le «Ukraine content club», invitant les étrangers à investir à leur guise dans des projets de contenus, en échange de droits de diffusion. «Nous ne demandons pas de dons, nous voulons simplement faire comprendre que l’Ukraine est un marché compétitif, riche en idées et en professionnels, que l’on a des choses à apporter», a expliqué à Cannes Victoria Yarmoshchuk, PDG de FILM.UA. Certains n’ont plus besoin d’être convaincus, à l’instar de la société allemande Red Arrow Studios, co-productrice avec FILM.UA de la future série «Those who stayed», inspirée d’histoires vraies sur des Ukrainiens restés à Kiev en plein conflit. De même, la filiale allemande de Gaumont va co-produire avec Starlight Media la série «In her car» («Dans sa voiture»), sur les séances de thérapie, officieuses, d’une psychologue reconvertie dans le transport de passagers séparés de leurs proches par la guerre  L’ouverture sur l’Europe est d’autant plus cruciale pour l’industrie ukrainienne qu’elle a perdu son principal marché avec la Russie. «Toutes relations entre ex-collègues russes et ukrainiens sont finies», confirme Larissa Malioukova, experte de l’audiovisuel du quotidien d’opposition russe «Novaya Gazeta». «Les contenus russes sont désormais inenvisageables en Ukraine mais on ne va pas en pleurer», tranche Polina Tolmacheva. «Nous voulons raconter nos propres histoires, avec nos valeurs comme la liberté». Exclu du Mipcom cette année, l’audiovisuel russe voit quant à lui nombre de ses titres «achetés par des grandes plateformes mis au placard», selon Larissa Malioukova.