Thaïlande: une journaliste condamnée à de la prison pour un tweet, dénonce une dérive autoritaire

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Une journaliste thaïlandaise, condamnée à deux ans de prison pour un tweet jugé diffamatoire envers un riche industriel du poulet, a estimé jeudi que la loi sur la diffamation en vigueur dans le royaume portait atteinte à la liberté d’expression et de la presse.

En décembre, un tribunal du centre de la Thaïlande a lourdement condamné Suchanee Cloitre pour un tweet, datant de 2016, faisant référence aux conditions de travail dans une ferme du puissant groupe Thammakaset.

L’entreprise était alors au centre d’un conflit avec ses employés birmans, qui dénonçaient des conditions de travail et des horaires exténuants. Dans cette affaire, le patron de Thammakaset a été condamné l’année dernière par la Cour suprême thaïlandaise à verser des indemnités à ses salariés. Mais il a lancé de nombreuses poursuites pour diffamation contre des journalistes, des travailleurs ou des activistes.

Mariée à un Français et maman d’un bébé de 9 mois, Suchanee était journaliste sur une chaîne de télévision, Voice TV, lorsqu’elle a évoqué la situation des employés birmans sur son compte Twitter. Elle est en liberté sous caution depuis sa condamnation le mois dernier et compte faire appel.

«J’étais au bord des larmes (à l’énoncé du verdict, ndlr) en pensant que je ne pourrais plus voir mon fils», a-t-elle raconté jeudi, estimant que la liberté d’expression dans le royaume est en train de perdre du terrain. Le pays est dirigé par le général Prayut Chan-O-Cha, au pouvoir depuis le coup d’Etat de 2014 et désormais à la tête du  gouvernement civil après des législatives controversées en mars 2019.

«Le niveau d’auto-censure en Thaïlande est très élevé» parmi les journalistes qui traitent des questions sensibles comme les droits de l’homme ou la politique, a déploré Suchanee. «Quand on interdit la liberté d’expression (…) on interdit une société ouverte».

Contacté, le propriétaire du groupe Thammakaset, Chanchai Pheamphon, n’a pas souhaité faire de commentaires.      Selon l’association thaïlandaise des avocats spécialisés dans les droits de l’homme, les poursuites pour diffamation sont en forte hausse ces dernières années, passant de 5 cas en 2012 à 40 en 2018.

La directrice de cette association, Me Nadthasiri Bergman, estime que certaines grandes entreprises aux moyens financiers considérables, «abusent» de cette procédure. «C’est mauvais pour la société», déclare-t-elle, appelant à dépénaliser la diffamation en Thaïlande.