L. FRISCH (Radio France) : «Nous structurons nos actions autour de l’intelligence artificielle pour procurer de l’aide à la production»

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L’année 2022 s’est achevée sur un record pour Radio France qui atteint pour la première fois les 3 milliards d’écoutes, tous supports numériques confondus. Les 7 antennes et les 26 webradios des chaînes musicales ont enregistré plus d’1 milliard d’écoutes en direct l’année passée. En tout, cela représente 650 millions d’heures de live, soit une augmentation de 5% par rapport à 2021. 55% de ces écoutes ont été réalisées via les supports propriétaires de Radio France. L’occasion de nous entretenir avec Laurent FRISCH, Directeur du numérique et de la production à Radio France.

Radio France a-t-elle franchi un cap sur le digital ?

Oui, très clairement ! Radio France dépasse les 3 milliards d’écoutes numériques en 2022. Nous récoltons les fruits des stratégies mises en place depuis 2015. A cette époque, nous avions commencé à amener l’audio au plus proche des gens. A partir de la présidence de Sibyle Veil, nous avons entamé une stratégie de plateforme. Nos offres et applications ont été réunies sur une seule et même plateforme Radio France. Depuis 2022, le site rassemble lui aussi les offres audios de toutes nos antennes. L’intérêt de la plateforme est d’exister sur un «marché de plateformes» face à toutes sortes d’agrégateurs comme Apple, Spotify, Amazon… L’application nous permet surtout d’inventer des parcours d’écoutes plus riches pour le public. Une offre segmentée chaîne par chaîne ne permettait pas de découvrir ce qui se faisait ailleurs. Depuis 2020, nous avons créé des fils correspondant à des sélections de podcasts, un mélange de podcasts de différentes chaînes avec des angles différents autour d’un thème. Aucun autre éditeur ne le fait aujourd’hui.

Pourquoi ces «sélections» ne sont-elles pas mises en place par d’autres médias ?

Parce qu’il faut en avoir l’idée. Nous avons inventé d’autres formes de regroupements de podcasts qui ont du sens pour le public. Une telle offre n’est plus uniquement structurée autour de tel animateur ou de tel programme. Il fallait ensuite avoir suffisamment de matière pour créer un champ de thématiques assez larges (personnalités, sujets d’actualité…). De fait, nous avons dépassé l’année dernière les 2 millions de sons disponibles sur la plateforme. D’autres médias étrangers sont venus nous voir pour s’inspirer de notre modèle.

Comment gérez-vous les archives sonores sur le digital ?

Nous avons rendu tous les programmes de Radio France depuis 2010 disponibles en ligne. Le catalogue se remplit à hauteur de 150.000 à 200.000 nouveaux épisodes par an, issus des grilles de radio et des programmes natifs. On cherche aussi à rééditer les sons importants de notre histoire. Nous avons encore quelques programmes en ligne qui ne sont pas suffisamment bien édités pour qu’on les retrouve facilement. A la suite d’une convention signée en 2021 avec l’INA, nous pouvons récupérer des programmes historiques des chaînes de Radio France qui viendront compléter notre catalogue et nos sélections sur la plateforme Radio France.

Votre sélection est «fait main». Quelle place laissez-vous à l’algorithme ?  

On a développé un algorithme de service public qui permet de changer la valorisation de nos sélections dans l’application et sur le site. On amène l’auditeur à la découverte de nouveaux contenus. Notre moteur de recommandation n’est pas un moteur de clics, mais de découverte. On ne cherche pas la performance immédiate mais la réassurance du public et le degré de curiosité que l’on suscite chez les gens. Notre critère est construit à la fois sur notre regard éditorial et sur le potentiel de découverte. Voilà pourquoi toutes les sélections sont faites à la main, notre algorithme de service public en module la visibilité.

Quelle leçon tirez-vous de la consommation de vos podcasts ?

Plus de la moitié des podcasts déclenchés sont écoutés en intégralité. Dans le Top 10, on retrouve tous types de formats : «Affaires sensibles» (70,6M d’écoutes), «Les Nuits de France Culture» (50,9M d’écoutes), «Les Pieds sur Terre» (43,3M d’écoutes) «Le moment Meurice» (35,2M d’écoutes), «Avec philosophie» (24,6M d’écoutes).

La tendance des podcasts longs se confirme-t-elle ?

Le podcast permet en effet le temps long. L’un de nos derniers grands succès en série, c’est celui de Philippe Collin sur Léon Blum (9X60’) que la plupart des auditeurs ont écouté en intégralité. A contrario, les formats courts plaisent aussi beaucoup et correspondent à un autre type d’écoute et de public.

Quel rôle avez-vous conféré à la vidéo ?

On lui a attribué un rôle spécifique : la conquête d’un public nouveau (de YouTube à TikTok en passant par Instagram, Facebook, Twitter, Twitch), et lui apporter de l’information en vidéo pour lui donner envie de venir nous écouter. Notre cœur de métier, c’est le son (en direct ou à la demande). Néanmoins, les réseaux sociaux sont des lieux où l’audio ne peut pas exister seul, alors qu’un public qui écoute de moins en moins la radio y passe du temps. Il faut donc aller chercher ces gens, les trouver, leur parler, et pour cela créer des adaptations de nos formats en vidéo et leur donner envie de venir nous écouter. Résultat l’année dernière : 1 milliard de vidéos vues. Réseau par réseau, nous touchons des profils socio-démographiques différents.

Et votre feuille de route pour les prochaines années ?

Nous sommes en train d‘écrire notre projet d’entreprise pour les 5 prochaines années. Parmi les lignes directrices, il y a la volonté de faire grandir la plateforme Radio France et de gagner du public. Pour cela, on va s’appuyer sur le «compte utilisateur», une façon d’entretenir un lien direct avec chaque auditeur. Développement aussi du catalogue en intensifiant nos efforts sur la production de podcasts natifs qui viendront compléter l’offre. Il y a aussi la remontée des trésors du fonds radiophonique de Radio France et de l’INA. On veut intensifier nos efforts sur les formats de conquête : écrit, images et vidéos. On va parier sur davantage d’édition en ligne de nos programmes pour les rendre plus facilement trouvables, et donner plus envie encore de les découvrir et les écouter. On continue également la mise en image de formats audio pour en faire des pastilles vidéo qui vont capter de nouveaux publics sur les réseaux sociaux. Enfin, nous structurons nos actions autour de l’intelligence artificielle pour procurer de l’aide à la production, à l’édition ou au développement informatique.